BLOG LA VIE EN LIVRES, NOUVELOBS.COM, Aliette Armel, mardi 10 novembre 2015


« En écho littéraire à la COP21 : André Bucher, Psychanalyse de la neige »

« Écrivain, bûcheron mais aussi planteur d’arbres et pionnier de l’agriculture biologique, [André Bucher] pratique la sobriété heureuse, y compris sur le plan littéraire. Ses livres sont des perles rares : on se réjouit donc que Sabine Wespieser offre aujourd’hui un très large accès à Déneiger le ciel, roman paru en 2007, en le publiant en collection de poche.

Comme tous les livres de Bucher, il s’inscrit dans cette terre montagneuse qu’il habite, un de ces derniers espaces sauvages français évoquant la Wilderness américaine célébrée par les écrivains du Nature Writing (Jim Harrison, Rick Bass) ou les écrivains amérindiens (James Welch, Louise Erdich, Sherman Alexie) avec lesquels André Bucher se sent en correspondance : comme eux, il ne pose pas la nature autour des personnages ou les personnages autour de la nature. Personnages et nature ne font qu’un.

David, le personnage principal de Déneiger le ciel chemine ainsi dans et avec la nature, dans la neige et le vent, au milieu des congères et des mares gelées, à pied au cœur d’une nuit de grand froid où il dépasse ses limites, passe les portes de l’obscur. […]

Il interroge ainsi sa propre capacité de survie tout en se préoccupant de ceux que menacent l’environnement hostile : hommes, femmes et animaux. À plus de 60 ans, David ne déneige plus les routes de sa commune. […] Il ne déneige plus les routes, mais le ciel et les corps. Le roman de Bucher est ainsi le récit d’une journée interminable passée à accompagner les corps et à déneiger tout ce qui les entrave, y compris dans ses propres pensées. Il part pour secourir son vieil ami Pierre, pour aller à la rencontre d’Antoine, son « fils de rechange », pour veiller à distance sur Muriel et sur cet amour qu’il n’ose pas encore s’avouer, pour affronter le fantôme de Martine, la fille de Muriel, disparue il y a un an, pour mettre des vaches à l’abri du froid. Avec tous ceux qui l’entourent – famille, amis, arbres, animaux mais aussi éléments naturels (neige, vent, rivière) ou proches du surnaturel (ombres) – David entretient une relation presque de confiance : il ne fuit pas, il accepte d’affronter les ombres. Il se laisse glisser au bord de la rivière mais veille aussi à se concentrer sur sa perception des choses et à accentuer sa présence aux gestes et aux attitudes salvateurs.

Au fur et à mesure que la nuit avance et que la neige s’amoncelle, ses abîmes intérieurs s’ouvrent et se libèrent. Il ne reste plus que le désir de dormir, mais sans oublier, avec le sentiment du devoir accompli. André Bucher est poète et non philosophe. Son roman ne revendique rien de théorique. Et pourtant on peut parler, à propos de Déneiger le ciel, de Psychanalyse de la neige comme Bachelard parlait de Psychanalyse du feu. »