CULTUREBOX – FRANCE TV INFO, Anne Brigaudeau, jeudi 27 août 2015


« La Carte des Mendelssohn de Diane Meur : roman-enquête sur une dynastie »

« Diane Meur, qui nous avait enchantée avec Les Vivants et les Ombres, entreprend ici de dessiner La Carte des Mendelssohn. Que sont devenus les descendants du philosophe Moses Mendelssohn (1729-1786) et de son petit-fils, le musicien Felix (1809-1847) ? Où se sont-ils éparpillés ? Un livre ambitieux qui esquisse à sa façon une histoire récente de l’Europe et l’Allemagne.

L’idée de départ est celle d’un projet fou, tout à la fois généalogique, dynastique et géographique. Dans La Carte des Mendelssohn, Diane Meur cherche à retrouver la trace des quelque deux cents descendants du philosophe Moses Mendelssohn (1729-1786), dispersés de l’Italie au Canada et des États-Unis au Japon.

Commençons par le point de départ : que sait-on de Moses Mendelssohn ? Infirme – il était bossu –, il grandit dans le ghetto juif de Dessau en Prusse. Cet enfant prodige, qui maîtrise à 11 ans la Torah et le Talmud, quitte à 14 ans son village natal pour rejoindre Berlin, ce philosophe contemporain de Voltaire, parfois qualifié de Socrate allemand, prône un judaïsme ouvert et a pour amis les esprits les plus brillants du Berlin d’alors.

Parmi ses fils figure le futur banquier Abraham dont deux enfants furent musiciens : Fanny et surtout Felix. Ce jeune compositeur plus précoce que Mozart, note la narratrice, devient un chef d’orchestre adulé que la reine Victoria reçut en audience privée pour lui interpréter, tremblante, trois de ses propre lieder.

Voilà pour les plus connus, dont ne se contente pas la romancière, qui interroge chaque ramification, chaque branche oubliée. Sur 450 pages, elle décline la dynastie, s’attarde sur les personnages les plus frappants ou les plus insolites, cherche à élucider les mystères familiaux – pourquoi le prénom étrange d’Enole revient-il dans cette famille ? Dans ce roman hanté par l’histoire tourmentée du XIXe et du XXe siècle, on croise bien des célébrités, dont un Wagner jaloux de la gloire de Félix Mendelssohn ou encore, au détour d’une rue de Berlin, le convoi funèbre de la révolutionnaire allemande Rosa Luxembourg, assassinée en 1919.

Si seuls quelques métiers (médecin, banquier…) étaient autorisés aux juifs dans le Berlin du XVIIIe siècle, l’éventail s’élargit pour les descendants, dont une partie s’est d’ailleurs convertie au catholicisme ou au protestantisme. Pendant la Seconde guerre mondiale, les descendants de Moses Mendelssohn connaîtront tous les destins : les uns exilés pour fuir les lois nazies, d’autres mourant à Stalingrad sur le front russe, en soldats allemands.

Comment s’y retrouver, avec tous ces personnages ? L’écrivain raconte comment elle a dessiné la carte situant les membres de cette famille sur les cinq continents, ascendants et descendants reliés par dessus les mers par des traits, des pointillés, du fil à coudre. La carte a envahi sa table et sa vie, alors marquée par une rupture qu’elle évoque en creux.

D’où un roman fractal, qui conte à la fois les déboires de la narratrice, les aventures d’une dynastie et les soubresauts historiques. L’histoire d’une famille, note la romancière, ne m’intéresse que si elle devient l’histoire du monde, et c’est de plus en plus le cas.

Le roman se fait fleuve, pan d’histoire, cartographie, mais il est surtout l’histoire d’une quête quasi-proustienne. Quête d’une famille, quête de soi-même – la narratrice s’accroche, malgré ses doutes, ses échecs, les mystères qui persistent, à ce projet comme à un cap, à une boussole. Elle découvre que La Carte des Mendelssohn est aussi ce roman rêvé dont il lui faut faire le deuil, et auquel se substitue un récit hésitant, parfois lacunaire, où l’enquêtrice se sent bernée par des légendes bâties après coup.

Tour à tour chercheuse et conteuse, fouineuse et à l’occasion poète, Diane Meur signe un livre subtil sur les mythes, les secrets et les réécritures d’une histoire familiale, et sur le pouvoir de la littérature. »