DIAKRITIC, Christophe Augias, jeudi 10 mars 2022


Prosopopée : cette figure de style – à mi-chemin du comic strip et du jargon rhétorique – qui consiste à faire parler les morts, était au centre du roman précédent de Robert Seethaler, Le Champ, également traduit par Élisabeth Landes aux éditions Sabine Wespieser. Ce qui rassemblait toutes les vies d’une petite ville d’Autriche était leur sépulture dans le même lieu. Un cimetière comme un concert. Dans Le Dernier mouvement, ce nouvel ouvrage de l’écrivain autrichien, vivant à Berlin depuis 20 ans, il n’est pas question de faire parler les morts mais ceux qui vivent, ou plutôt qui survivent – comme une manière de prosopopée avant l’heure. Il n’est pas tellement question non plus de concert, même si Gustav Mahler est au centre du Dernier mouvement. Il y est davantage question de regard, de l’œil qui porte au loin plutôt que de l’oreille qui rapproche.

Alma, l’épouse du grand homme, « la plus belle femme de Vienne », lui fait d’ailleurs la remarque dans une scène du roman : il faut toujours qu’il se tienne à la fenêtre, en haut d’un clocher ou qu’importe, là où son regard peut porter. On pense à la portée qui accueille les notes, ces notes qui forment un mouvement, une phrase musicale qui dévoile. Le mouvement, on l’aura compris, est à la fois celui de l’œuvre du compositeur et celui de son œil qui parcourt le monde. Robert Seethaler place ainsi le centre de sa narration sur un paquebot traversant l’Atlantique, à bord duquel Mahler voyage dans les derniers mois de sa vie, sous l’œil attentif et candide d’un garçon de cabine. Ce dernier, véritable révélateur littéraire, fait le lien entre l’artiste et sa famille tenue à l’écart de son trouble. […]

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