ELLE, Pascale Frey, vendredi 23 mai 2014


« Sur le terrain, une photographe gagne à être une femme »

« De son enfance indochinoise et mouvementée jusqu’au Mali, en passant par les podiums du monde entier, la photographe a rapporté des trésors et une audace à toute épreuve. À voir et à lire.
Françoise Huguier photographie son époque avec une curiosité débordante : un long séjour en Sibérie dont elle a failli ne pas revenir tant elle s’y plaisait ; le Mali, qu’elle considère comme sa seconde patrie ; les défilés de mode, qu’elle détourne à sa guise, décapitant volontiers une top model si elle trouve ses chaussures plus intéressantes que son visage. Indépendante, Françoise Huguier l’est. Farouchement. Une impression d’être différente qu’elle explique ainsi : alors qu’elle vivait en Indochine avec ses parents, elle fut enlevée, avec son frère, par les Viêt-minh. Huit mois embrigadée par les révolutionnaires. Cet épisode déterminera sa vocation, son désir de raconter le monde, son monde. Aujourd’hui, Françoise Huguier publie son autobiographie, Au doigt et à l’œil, tout en préparant la rétrospective que la Maison européenne de la photographie lui consacre du 4 juin au 31 août. »

Du reportage à la mode, il y a un sacré fossé. Comment l’avez-vous franchi ?
J’étais en reportage au Japon et Serge Daney devait interviewer Issey Miyake, Rei Kawakubo et Yohji Yamamoto. Je les ai photographiés. Plus tard, Miyake m’a invitée à son défilé, à Paris. Et voilà. Au fond, de l’Afrique à la mode, je photographiais toujours des tribus ! Je jouissais d’une totale liberté. Je pouvais couper les pieds, les jambes. Ce qui m’intéressait, c’était la lumière sur le tissu, la forme et la création d’un vêtement. J’ai des souvenirs merveilleux : Christian Lacroix, dont j’ai photographié les défilés pendant vingt-cinq ans, jusqu’au dernier. Il y avait à l’époque une imagination féroce. Je me souviens d’Iman torse nu, un singe dans les bras, au défilé Mugler. Et Gaultier faisant défiler une Björk encore inconnue. Pour ce défilé polaire, il s’était d’ailleurs inspiré de mon livre sur la Sibérie.
[…]
Y a-t-il une patte Huguier ?
J’essaie de me trouver en décalage. En ce moment, je fais un reportage sur les jeunes influencés par la Corée. J’ai lancé un casting sur Facebook. Ils ont tous des lentilles et des appareils dentaires parce que c’est la mode. Plus je vieillis, plus ces trucs-là m’intéressent. Et le dernier boulot que j’ai adoré, c’est un reportage sur les familles qui vont habiter à côté des futures gares du métro du Grand Paris. Je suis tombée, par exemple, sur un pavilolon qui ressemblait à une boîte de nuit, et le jardin à celui du facteur Cheval. J’ai très envie d’y tourner un roman-photo, en vidéo. Un copain m’a dit l’autre jour : C’est incroyable, tu es une ado !