ENCRES VAGABONDES, Dominique Baillon-Lalande, jeudi 2 décembre 2021


« Jan Carson parvient, outre la fantaisie et l’humour décapant qui permet au lecteur d’établir une distance avec le sujet, à trouver un bon équilibre entre le réalisme et le fantastique, et sa maîtrise du rythme, de la construction et du suspense, réussit à retenir en permanence notre attention. Il y a là une énergie, une puissance narrative et une liberté de ton qui, du registre de l’angoisse ou la violence à celui de l’amour paternel ou d’un désir de changement, nous embarquent, nous émeuvent, nous bousculent, pour entre flammes destructrices et jaillissement de lumière, nous livrer magnifiquement et avec profondeur l’âme du Belfast que l’autrice voit de sa fenêtre.

En nous entraînant à ses côtés du chaos politique et social au mythe de la fascinante Lorelei, de la norme incarnée par le médecin rigide à la singularité de ces Enfants infortunés certes mais d’une fantaisie et d’une poésie irrésistibles, de l’amour paternel au devoir moral, de la solitude de Jonathan à l’élan collectif des lanceurs de feu ou du groupe de paroles du docteur Kunari, de l’impact des Troubles à l’espoir d’un changement incarné par de grands feux de joie, du fatalisme désespéré de Sammy à la solidité tranquille de la baby-sitter sourde de Sophie, de la culpabilité des deux protagonistes à l’enthousiasme de cette jeunesse prête à tout puisqu’elle a si peu à perdre, Jan Carson nous balade avec un souffle puissant dans les rues de sa ville, d’un personnage à l’autre, d’une génération à l’autre, dans un roman qui pourrait se lire comme le rêve d’une Irlande du Nord libérée des traumatismes passés par d’immenses flammes vives, qui parierait enfin sur le vivant, la force de la jeunesse et l’avenir.
Un roman hypnotique, brûlant, poétique et mystérieux, magistralement nourri d’un réalisme magique qui n’enjolive rien de cette ville de Belfast toujours au bord de l’explosion mais dégage une énergie puissante et positive. »