FRANCE CULTURE, « Par les temps qui courent », Marie Richeux, lundi 2 mars 2020


« Catherine Mavrikakis : Apprendre à lire, c’est aussi apprendre à vivre » « Par les temps qui courent ».

« Nous recevons l’autrice québécoise à l’occasion de la double parution en France de L’Annexe, son nouveau roman, et de Deuils cannibales et mélancoliques aux éditions Sabine Wespieser. Elle nous parle de l’importance de la littérature et du récit pour se construire.

Dans L’Annexe, Catherine Mavrikakis joue avec les codes du roman d’espionnage et de captivité, et nous livre un vibrant hommage à la puissance invaincue de la littérature. »

Extraits de l’entretien :
« J’ai l’impression que l’écriture est liée à une certaine errance, et je vois l’écriture comme un nomadisme. L’héroïne de mon roman ne se retrouve que dans la littérature. C’est le seul endroit où elle retrouve son identité, des goûts qui lui sont propres, alors qu’en tant qu’espionne, elle fabriquait ses goûts en fonction de ses missions. Tout d’un coup, elle va se rappeler des affects que lui a donnés la littérature, parce que la littérature n’est pas uniquement cérébrale, elle est particulièrement affective. En fait, je crois que l’accès au monde est toujours médiatisé par la littérature et ses affects : la littérature inscrit en nous quelque chose de nos émotions. »

« Ce qui m’intéressait c’était de voir comment nous construisons nos identités. J’ai toujours un peu de méfiance envers les identités qui seraient très stables. Nous faisons des récits sur nous-mêmes que nous voulons très cohérents, or il me semble que nous sommes particulièrement incohérents. La littérature peut montrer des personnages beaucoup plus incohérents que ceux qui sont dans le monde. J’avais envie de montrer que nous sommes d’avance lecteurs des autres, et que dans le fond, la lecture et le récit sont notre quotidien : nous passons notre vie à nous inventer des récits sur nous-mêmes. En fait, ce qui m’intéresse, c’est le moment où mon récit de moi ne colle plus à moi-même, c’est là que l’on voit la fragilité de nos propres récits. »

« Pour vivre, il faut arriver à décrypter plein de choses. On est tout le temps en train de travailler avec des mots ou des signes qu’on ne connaît pas, et on les réagence dans la phrase qu’est la vie. »

« Mon écriture s’installe dans ce lieu où je parle, où je dialogue, où les morts me parlent. Après mon premier livre, l’écriture s’est réimposée. J’ai toujours l’idée que les livres que j’aime lire sont des tombeaux. J’aime les livres qui parlent de la mort ou des morts parce que je ne trouve pas ça facile d’être humain, de mourir, et de voir que d’autres meurent. La condition humaine est terrible, et je crois qu’il y a quelque chose d’excessivement incompréhensible dans le fait que l’on va mourir : il y a, c’est évident, un scandale dans la mort. En fait, j’écris pour que les lecteurs puissent porter les morts avec moi, parce que j’ai l’impression que l’espace littéraire est un espace de partage, dans lequel le lecteur peut porter les peines de celui ou celle qui écrit, et inversement : on crée des chambres d’écho où on se tend la main. »

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