LA CROIX, Emmanuelle Giuliani, lundi 14 octobre 2013


« Léonor de Récondo, l’archet et la plume »

« Le violon dans une main et le stylo dans l’autre, Léonor de Récondo, musicienne et écrivain, est avant tout une femme en quête d’harmonie.

Tout a commencé par de merveilleux souvenirs d’enfance. Entre 4 et 14 ans, j’ai passé tous mes étés à Pietrasanta, un village toscan près de Carrare. Ces vacances italiennes, la lumière, la montagne et la liberté de gambader du matin au soir sont gravées en moi comme des moments magiques, sourit Léonor de Récondo. La nécessité s’est imposée naturellement de situer son nouveau roman, le troisième, dans ces carrières de marbre si réputées, huis clos à ciel ouvert d’une histoire où l’art, la nature et la profondeur des affects se répondent comme les instruments d’un orchestre de chambre. On sait que, en 1505, Michel-Ange est venu à Carrare choisir les blocs de marbre destinés au tombeau de Jules II. Une commande du pape mécène à un sculpteur de 30 ans, dont le génie avait déjà saisi ses contemporains grâce à la Pietà de Rome et au David florentin, poursuit Léonor de Récondo. À partir de ce fait avéré et de quelques autres, j’ai bâti un récit sur la force de l’art.

Récit sobre et frémissant, d’une écriture magnifique, économe et pourtant sensuelle, Pietra viva rend étrangement familier l’un des plus grands créateurs de tous les temps. Au début du roman, Michel-Ange fuit Rome et s’isole au milieu des gens simples qui exploitent – parfois au prix de leur vie – les précieuses carrières. Le sculpteur est un homme verrouillé, hanté par le souvenir enfoui de la mort de sa mère, pas toujours sympathique, avare, négligé, misanthrope, mais possédé par la création, admet l’écrivain.

La beauté fulgurante des paysages, le contact charnel avec le marbre, la rencontre inattendue d’un enfant, orphelin lui aussi, et d’un doux illuminé, nommé Cavallino car il se prend pour un cheval, vont irradier le cœur de Michel-Ange. Cavallino est inspiré d’un personnage réel qui parcourait les rues de Pietra Santa en hennissant, évoque Léonor de Récondo. Il était dans sa vérité à lui.

En rédigeant ce texte intense, auquel son éditrice Sabine Wespieser croit tellement qu’elle en a fait son unique sortie de la rentrée en littérature française, la romancière avoue s’être sentie un peu moins effrayée par le face-à-face avec la langue, même si je doute encore ! […]

Entre interviews, rencontres avec les libraires et les lecteurs (d’innombrables demandes lui font parcourir la France de part en part), elle reconnaît délaisser un peu son violon. Sans regret pourtant. Dans la musique, j’aime jouer avec les autres, partager en direct l’émotion, entre collègues et avec le public. Quand j’écris, je suis seule. Je suis donc heureuse de voir aujourd’hui comment chacun s’approprie le livre, à sa façon… »