LA VIE, Marie Chaudey, jeudi 18 août 2022


Une fille formidable
Dans un premier roman accrocheur, la romancière suisse Sarah Jollien-Fardel raconte une trajectoire pour échapper à la violence.

L’émotion est forte de découvrir une vraie voix, vive et puissante, derrière les mots d’un premier roman. D’autant que l’auteure n’est pas une jouvencelle, et qu’on devine dans sa fiction une part d’inspiration autobiographique – Sarah Jollien-Fardel est Valaisienne, comme son héroïne Jeanne. On imagine un récit longuement mûri avant d’être découvert par Sabine Wespieser, éditrice indépendante qui fête cette année en beauté les 20 ans de sa maison.
La narratrice, Jeanne, raconte une enfance aux aguets, sans cesse menacée par les coups d’un père alcoolique et hyperviolent, tyran familial implacable, martyrisant sa femme et ses deux filles. Le cadre est important : un village reculé du Valais où chacun s’épie et se tait. Même le médecin. Échapper aux brutalités est donc un travail à plein temps, qui vous tord une vie pour longtemps. S’extraire du huis clos est vital. Une seule solution, la fuite. La sœur aînée s’y essaie, call-girl dans un bar. Jeanne, elle, parvient miraculeusement à prendre la voie des études et à se construire un avenir. Elle débarque à Lausanne : scènes admirables où elle nage en liberté dans la beauté des eaux du lac Léman, si loin des montagnes où elle a grandit et qu’elle se surprend à regarder d’un œil neuf. Jeanne s’ouvre à l’amour au cours d’une première expérience homosexuelle, puis s’installe avec une compagne, sans parvenir pour autant à un véritable apaisement.

Entre acuité et rage
 La langue de Sarah Jollien-Fardel est singulière, affûtée et nourrie de ses racines valaisiennes, et la construction du roman est remarquable : entre deux étapes du récit d’émancipation, on revient inlassablement à des scènes brutales, ressurgies de l’enfance. Un homme aimé et aimant a beau faire un jour le bonheur de Jeanne, échappe-t-on jamais à un passé empoisonné ? On est ici entre Annie Ernaux – pour le parcours social – et la rage de #MeToo, mais sans jargon aucun : juste de la densité humaine et vivante à chaque page.