LEMATIN.CH, Éric Felley, mercredi 5 octobre 2022


Valais : au nom du père tout-puissant !

Sa préférée, le roman de Sarah Jollien-Fardel, évoque un Valais qui n’est pas si ancien, celui où le père était maître chez lui. Ici, l’histoire vire au cauchemar !

C’est un succès fulgurant. En Suisse, comme en France, le roman Sa préférée de Sarah Jollien-Fardel, connaît un accueil inédit pour un livre romand, obtenant le Prix du roman Fnac, à défaut du Goncourt. C’est pourtant une histoire sombre, très sombre qu’évoque la narratrice dans son existence profondément tourmentée. Une histoire, c’est d’abord un lieu. Le Valais est clairement identifié comme le théâtre du drame, sur les hauteurs de Sion. C’est aussi une époque, la seconde moitié du XXe siècle, que beaucoup de Valaisannes et Valaisans ont encore en mémoire. Jeanne, la narratrice, vit avec sa sœur, sa mère et un père tyrannique et alcoolique. Au siècle dernier, la violence paternelle était encore très présente en Valais, systémique dirait-on aujourd’hui. Elle se traduisait par des claques, des coups ou des séances de « ceinturon ». Les châtiments corporels faisaient partie de la palette de l’autorité parentale et scolaire. Mais le père du livre, imbibé du matin au soir, apparaît comme l’archétype d’un autre genre, celui de l’homme mauvais, qui bat et viole.

Tout un Valais qui s’interroge

Bien qu’on soit dans un univers romanesque, la part du vrai, le souci du détail et le vécu de la narratrice sont si précis que le lecteur est convaincu que ce père a bien existé. La limite entre la réalité d’un témoignage et la fiction est ténue. Et avec ce père, c’est tout un Valais qui s’interroge… Quelle société avec quelles valeurs a pu engendrer un tel monstre ? Et pourquoi, face à lui, ne subsiste qu’impuissance et impunité ?

Autour de la famille martyrisée, la communauté villageoise ferme les yeux, car chacun est maître chez soi. Dans un sens, ce père devient la métaphore d’un pouvoir patriarcal démentiel et délirant. Pour cette génération, il était exclu de divorcer, même en cas de viols ou de violences conjugales. Plombés par la pauvreté, les protagonistes sont coincés dans un univers intangible. Seule Jeanne parvient à s’en extirper en allant étudier à Lausanne.

Traumatisée par la violence paternelle, tétanisée par son passé, la narratrice cherche sa voie auprès de divers partenaires. C’est le fil du roman. Un suspense se crée à travers des sentiments intérieurs finement rapportés dans leur complexité, de l’amour et de la difficulté d’aimer, de la confiance et de la trahison. Mais avec ce père, qui revient toujours comme dans un cauchemar à répétition.

Lire l’article en ligne