LE NATIONAL (HAÏTI), Maguet Delva, mercredi 6 décembre 2023


Le dernier ouvrage de Louis-Philippe Dalembert consacré à la mythique Rome est un roman italien et féminin. Pourtant les hommes ne sont pas absents, mais ils jouent des rôles mineurs dans le splendide scénario que nous a confectionné le finaliste du prix Goncourt de 2021. Un roman historico-sociologique en raison de ses nombreuses évocations historiques et des traditions qui s’y sont décrites.

Plonger dans l’univers de Dalembert, c’est se retrouver avec la puissance de la résonance des mots, se familiariser avec un langage imagé où la sensibilité du poète n’est jamais loin, à travers des phrases bien ciselées et des métaphores exquises. Des morceaux très savoureux.

Découvrir son monde, c’est aussi côtoyer des lieux comme si nous y étions. Avec Dalembert, le lecteur est toujours convié au voyage, c’est ce qui fait la force de ses romans, toujours puissants humainement parlant. Ce dernier n’a pas dérogé à la règle en nous faisant pénétrer dans une famille italienne, une saga familiale dont les principaux personnages sont aussi intéressants que désopilants.

Dans ce roman, divisé en trois parties, le lecteur aura visité des lieux et vu se défiler devant lui tant de personnages au parcours tortueux. Est-ce que Laura, la petite-fille de la Contessa, est l’héroïne de ce roman polyphonique ? Rien ne permet de l’avancer, les portraits tout en nuances nous guident dans les dédales de cette histoire de famille où s’impose la forte personnalité d’une grand-mère, Nonna Adélaïde, ayant hérité de son titre de noblesse par substitution.

Ce texte est avant tout une déclaration d’amour faite à l’Italie par un auteur qui connaît bien le pays, pour y avoir vécu, notamment en tant qu’ancien pensionnaire de la Villa de Médicis. Rome est au cœur de ce roman, où chaque personnage raconte une Italie qui, au fil des pages, renferme des faisceaux de renseignements pour ceux qui n’ont pas encore visité la vieille ville, et qui ne connaissent pas son histoire.

Comme toujours avec Dalembert, la finesse, la subtilité, l’humour à gogo, les galéjades, l’histoire, les mémoires sont au rendez-vous. L’auteur aime l’histoire, les relations internationales et le journalisme, sources inépuisables pour entrer en contact avec l’humain.

Avec cette nouvelle publication, on est plongé dans la grande et petite histoire en même temps, car à côté de la peinture d’un tableau familial, se côtoient des pages d’histoires lointaines et immédiates.

Le roman s’ouvre sur la figure juvénile de Laura, la petite fille de la Contessa, grand-mère d’une tribu et gardienne de l’histoire de cette famille italienne d’origine juive. Elle est omniprésente et omnipotente, au point parfois de faire de l’ombre à ses enfants. Entre la grande mère et sa petite-fille Laura, l’auteur peint avec jubilation la société italienne où humour et dérision sont au rendez-vous, tout en faisant ressortir le fossé sociologique entre les membres d’une même famille. Laura face à sa grand-mère, c’est le match quasi incompressible entre l’Italie ancienne et la nouvelle dont Laura est la représentante type.

Laura symbolise plus que tout autre cette modernité dans laquelle la grande mère ne veut pas sombrer. À travers elle, le romancier donne à voir une Italie qui est en train de perdre ses « valeurs » sous le coup de la globalisation et la mondialisation. La grand-mère a vécu sous l’ère du fascisme Mussolini et a connu la marche sanglante sur Rome. Elle veille sur la famille, et nourrit le projet réaliste de trouver un bon parti pour ses filles. Elle craint que son garçon célibataire à un âge avancé ne soit homosexuel. Comme tout mère, elle décida d’aborder la question même si c’est de manière détournée. La Contessa est bien trop présente au point de soulever la colère de sa fille Elena qui n’en peut plus de l’intempestive et indiscrète intervention de sa mère dans son ménage. Dans ce face à face parfois tendu, l’auteur nous plonge dans problèmes de famille où l’incompréhension est de mise.

Madame la Contessa n’est pas à bout de ses peines, car elle a Elena à marier et lui souhaite un mari dont les poches sont remplies et de surcroît beau. L’exigence de sa mère est à la hauteur de ce rôle de gardienne sinon de mémoire de sa famille auquel elle tient mordicus. À la recherche d’un bon parti, Elena rencontre Giuseppe. Mais va-t-elle l’épouser ? Tout le suspense est là.

Un roman attachant

Les romans ne sont pas des essais de sociologie, mais parfois ils disent, racontent les faits socio-historiques mieux que certaines études scientifiques. Une fois de plus, le romancier vient de s’illustrer magistralement dans ce roman historique où chaque personnage est un morceau d’histoire. Les amateurs de littérature italienne sont superbement bien servis, car Dalembert nous présente encore une fois une histoire contée avec élégance, sarcasme et admiration. Résultat, un roman attachant, où le lecteur ne peut qu’être atteint par la magie de la ville éternelle et une histoire familiale pleine de rebondissements.

Le portrait des personnages est si affiné qu’on a l’impression que l’auteur est un spécialiste de la psychologie des habitants de celle ville.

Histoire et roman ou le romanesque de l’histoire en marche ? En tout cas, l’auteur sait comment capter le lecteur sans le brusquer avec les deux thèmes. Même dextérité en nous présentant trois générations de femmes. Même habileté en faisant que chaque personnage raconte une histoire de cette ville.

L’histoire et fiction font parfois bon ménage quand on sait les brasser avec maestria. Dalembert n’est pas à son premier coup d’essai. Avec « Avant que les ombres s’effacent », il s’est déjà consacré à l’histoire des relations internationales de son pays et dans ce dernier, les mêmes recettes ont été utilisées avec ingéniosité pour le bonheur de ses lecteurs.

Notre compatriote n’est pas le premier écrivain francophone à s’intéresser à l’Italie. Toute une pléiade d’écrivains français, fascinés par l’Italie, ont fait de la ville éternelle la source de leur imaginaire. Les poètes diplomates tels que Chateaubriand, Stendhal et plus près de nous, l’ancien premier ministre français, Alain Juppé, dans un essai décapant, exprime toute son admiration.

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