LE TEMPS, Éléonore Sulser, samedi 14 février 2015


« Quand les amours contemporaines bouleversent l’ordre bourgeois »

« Léonor de Récondo signe avec Amours un roman singulier qui commence comme une farce boulevardière sur fond d’adultère et se développe en fable humaine, contemporaine et prenante.

[…] Comme on s’y attend, la bonne tombe enceinte. Madame, jeune femme un peu souffreteuse mariée par pure convention et qui n’aime pas son mari, comprend que l’enfant est de son époux et décide brusquement de le garder. Elle fait croire qu’elle est enceinte, bat froid son conjoint, et garde la bonne sous son toit.

L’enfant naît et le roman bascule. Il faut dire que le monde lui-même autour des protagonistes est en train de bouger. En ce début du XXe siècle, un frisson de liberté parcourt les femmes. Elles ne vont tarder à jeter leur corset au feu, même si, dans cette province éloignée, l’idée d’une émancipation paraît très hypothétique.

Reste que, l’espace de quelques mois, tout ce petit monde provincial et bourgeois va envoyer balader les conventions. Anselme, le mari, Victoire, l’épouse, Adrien, le fils, Céleste, la mère véritable, entament une sorte de ballet amoureux qui va tour à tour les pousser hors de leur condition, hors des chemins rebattus. Des liens se tissent qui redistribuent les classes sociales, secouent l’ordre bourgeois. Un vent de liberté souffle tout à coup, petite brise qui rabat vers le lecteur des questions très actuelles. […]

Mais hélas, l’anachronisme, parenthèse enchantée, ne dure pas. La famille, les clercs, les éducateurs, l’entourage veille et empêche l’échappée de Victoire, Adrien et Céleste vers le XXIe siècle. Le roman réaliste reprend ses droits, l’aventure romantique et moderniste se referme.

Amours est un texte singulier, anachronique on l’a dit, mais aussi très prenant. Léonor de Récondo est une fine mouche qui sait vous capturer dans les rets de son récit. Elle vous mène même par le bout du nez jusqu’au bout du livre, après avoir étalé, page après page, toute une palette de sentiments, grands ou petits, exaltants ou drôles.

Amours est un livre un peu déroutant, taillé à l’ancienne dans sa forme, contemporain dans ses questions, attachant par sa trame où les conventions et le tragique reprennent leurs droits après la fête. »