LE VIF/L’EXPRESS, Kerenn Elkaïm, vendredi 17 janvier 2014


« En marge d’amour »

« Le lyrisme de Duong Thu Huong ravive le prisme du Vietnam, gangrené par le communisme et la difficulté d’assumer sa différence. Une errance en quête de liberté.

Derrière la sage image de Duong Thu Huong se cache une fervente militante. Une lutte pour la démocratie de son pays, qui l’a emmenée vers la prison puis l’exil à Paris. Elle y poursuit son combat tout en écrivant de magnifiques romans, comme Terre des oublisUn romancier doit quitter sa vie pour plonger dans celle des autres. S’il n’est pas étonné par elle, il ne peut pas écrire. Dans le chef-d’œuvre Les Collines d’eucalyptus, la dissidente dessine le parcours dantesque d’un jeune homosexuel en mal de repères. L’amour fou de Thanh pour Phu Vuong le conduit à quitter sa paisible vie. Mais son amant est une vipère, synonyme d’enfer ! Il est digne de l’eucalyptus, belle plante destructrice, révélatrice des dégâts causés par le communisme qui a muselé les esprits. »

K. E. – Vous décrivez le poète, figurant dans ce livre, comme un homme libre qui a lui-même organisé sa liberté. Est-ce aussi votre cas ?
D. T. H. – Oui, mais la mienne est passée par la prison, l’expulsion de la communauté vietnamienne et la séparation avec ma famille car je suis l’ennemie du peuple. Ma liberté est liée à ce prix élevé, or je ne regrette rien. Je mène une vie monacale, mais la littérature est ma seule façon de vivre. C’est mon exutoire extérieur, mental et spirituel.
[…]
K. E. – Pourquoi vous intéressez-vous tant à ceux qui sont mis au ban de la société ?
D. T. H. – Parce que je suis moi-même une marginale. J’ai dû couper les ponts avec les miens pour les préserver du danger. Contrairement à moi, Thanh initie une rébellion inconsciente, poussé par son homosexualité qui le dépasse. Il incarne le visage de ceux qui sont chassés par leur famille ou leur société. Son parcours l’amène à découvrir que l’amour peut être une sublimation ou un naufrage… Qu’elles soient politiques ou amoureuses, toutes les relations humaines constituent un jeu de pouvoir entre dominant et dominé. L’histoire de sa rédemption nous rappelle que la lumière se brise seulement dans les ténèbres. Ce n’est qu’après la chute qu’il pourra saisir ses faiblesses. Tout homme doit se battre pour sa liberté, c’est un besoin et un rêve.