L’ÉCHO (Belgique), Sophie Creuz, samedi 2 septembre 2023


Le Café sans nom, lieu de vies pour l’Autrichien Robert Seethaler

Fidèle à lui-même, l’auteur autrichien Robert Seethaler revient avec un roman qui excelle à raconter le rien.
Les taiseux, les vagabonds, les ombres qui passent au coin de la rue et qu’on aperçoit à peine sont les personnes que retient Robert Seethaler (1966). Hormis dans son roman Le Dernier Mouvement sur les derniers instants de Gustav Mahler, cet auteur ne s’intéresse qu’aux anonymes. Avec un talent rare.

Quand d’aucuns composent des personnages inoubliables aux destins exemplaires, lui se penche sur des personnes, des petites gens comme on les appelle, qui ont à peine une existence. Est-ce parce qu’il est très myope ? Son regard grossit les détails, saisit un accroc dans la vie pour en faire un point d’appui du récit.
Ainsi Robert Simon, 31 ans, orphelin et célibataire, homme à tout faire au marché, se décide à reprendre le café de son quartier populaire. Nous sommes à l’été 1966, la ville a encore les stigmates et les pudeurs de la guerre, on savoure les plaisirs simples, un pique-nique au parc, une promenade le long du Danube, un soda-framboise à la terrasse.

Passer l’après-midi devant un verre d’eau
Les rêves sont modestes eux aussi, bousculés parfois par un vent de liberté et d’audace qui secouent un climat réservé et traditionnel, comme l’est ce tenancier qui loue une chambre chez une vieille veuve. Et voilà tout. Et voilà le travail d’un roman qui excelle à raconter le rien, l’ordinaire, le non-avenu en attachant le lecteur à ces êtres sans destin, comme dirait Imre Kertész, façonnés par l’histoire, la culture, et presque sans désir autre que celui d’une vie simple et attentive à être aimable avec tous, sans poser de question.

Attentif, Robert Seethaler l’est aussi à cette vie de quartier qui disparaît, avec ces lieux paisibles où des habitués pouvaient se taire ou bavarder et passer l’après-midi devant un verre d’eau en trouvant un semblant de chaleur humaine.

Un polaroid trouvé dans une boîte à chaussures
Comme les églises, seuls lieux où trouver le silence. « Dehors les cris, la circulation, les chantiers, dedans rien que murmures et craquements. Et l’été, il fait si agréablement frais. » La poésie de ce texte à la Doisneau nous attache irrémédiablement, on le lit en le déchiffrant comme on le ferait d’un polaroïd trouvé dans une boîte à chaussures à la brocante, en y cherchant des visages, des modes, des rêves révolus. Alors même qu’il ne s’y passe rien, ou presque. Nulle aventure autre que le hasard qui va son petit bonhomme de chemin.

Robert Seethaler se tient lui-même en retrait, n’en dit guère plus que ses personnages, et ne fait nul étalage de son savoir-faire, qui est évidemment immense.

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