LIBRAIRIE CHARYBDE, Paris XIIe, vendredi 7 octobre 2016


« Publié en 2015 chez Sabine Wespieser, ce deuxième texte de Marie Richeux est fort différent des instantanés à diffraction poétique de son Polaroïds (2013), mais partage en revanche avec eux une capacité singulière à extraire du sens et de la beauté d’un environnement mythologique, ancien ou moderne, qui ne demande qu’à vivre et se déployer pour peu qu’on le regarde avec la bonne intensité et la distance idoine.

Ainsi, dans la ville d’aujourd’hui tout à coup recouverte de sable (pour que le silence soit, et pour que le récit puisse advenir, précisait Marie Richeux dans un entretien), Achille surgit, et s’invite chez la narratrice. Achille aux pieds légers, le fils de Pélée et de Thétis, le héros prédestiné éduqué par le centaure Chiron, l’enfant (incomplètement) baigné dans le Styx, le divin guerrier à la colère légendaire, se retrouve là. Ou plus exactement : Il était là. Il n’y pas ici de transfiguration, d’adaptation mutante à notre époque : Achille est là comme il l’a toujours été. En nous aussi. C’est tout le pari réussi de Marie Richeux que de nous faire partager cette présence comme une évidence, et non pas comme une laborieuse reconstruction.

Face à un personnage de cette stature, incarnant pour l’éternité la violence virile et martiale comme l’aveuglement de la colère, mais à qui l’on doit aussi consentir, complexité et richesse trop souvent oubliées, les poids cruciaux de la famille et de l’oracle, l’ombre de la mère (qui s’agite d’ailleurs ici, potentiellement redoutable, dans la salle de bain du même appartement d’accueil) qui rôde, la narratrice prénommée Marie offre la puissance de l’écoute, d’une écoute qui n’est ni pardon (de quoi ?) ni compréhension (de qui ?), mais bien actualisation d’une permanence, patiente pesée des silences et des interstices par où s’immisce la signification, les pluralités, les tensions qui irriguent le chantre prédestiné de la vie brève – et qui en font, comme de juste, le véritable et authentiquement tragique héros de l’Iliade. »