LIBRAIRIE MOLLAT, ÉMILIE DONTENVILLE, blog Ces mots-là, c’est Mollat, Bordeaux, mardi 18 novembre 2014


« Deux femmes et un enfant »

« Saint-Ferreux-sur-Cher, 1908, dans la propriété d’Anselme de Boisvaillant.

Monsieur est notaire, remarié depuis cinq ans avec Victoire de Champfleuri qui n’a pu jusqu’alors lui donner un héritier. Le couple a trois personnes à son service : Huguette – femme de chambre, cuisinière et bonne à tout faire, elle travaille dans la famille de Monsieur depuis ses débuts –, Pierre, jardinier, cocher, il est aussi le mari d’Huguette, et enfin la jeune Céleste qui assiste Huguette dans les divers travaux d’intérieurs. Monsieur travaille beaucoup, Madame s’occupe, s’engage comme il se doit dans diverses œuvres de bienfaisance. La vie suit son cours et chacun reste à sa place, quoique… Il arrive que, pour tromper l’ennui de sa vie conjugale, Anselme monte les marches de l’escalier de service pour attirer de force Céleste dans sa chambre. Victoire n’en sait rien et la bonne n’oserait jamais se plaindre de peur de perdre sa place. Ce secret trop bien gardé finit pourtant par percer, le jour où le ventre de Céleste commence à s’arrondir… Une fois la stupeur passée, Victoire ne sait que faire et la faiseuse d’ange qu’elle a fait venir n’a pu lui apporter l’aide escomptée, la grossesse étant dans un stade beaucoup trop avancé pour être interrompue. Faut-il chasser la bonne ou bien saisir l’opportunité qui s’offre à Victoire de devenir mère en adoptant l’enfant ?

Après avoir évoqué la guerre d’Espagne et l’exil avec Rêves oubliés, raconté une partie de la vie de Michel-Ange avec Pietra Viva, voici que Léonor de Recondo nous entraîne avec Amours dans un huis-clos fascinant. Comment d’abord ne pas succomber à la verve aussi charmante qu’impertinente de l’auteur qui excelle ici à camper la vie bourgeoise, l’ennui, le poids des convenances sociales ? Comment ne pas non plus s’attacher à tous ces personnages, chacun portant au fond de lui des rêves comme des failles : Anselme, qui n’a pas connu son père et qui est persuadé qu’on lui a menti sur les circonstances de sa naissance, Céleste, qui voue un culte à la Vierge Marie et qui, prise au piège par la maternité, saura trouver des ressources insoupçonnées pour s’en sortir, enfin Pierre, sans doute un des personnages secondaires les plus émouvants du livre, revenu sourd et muet de la guerre en 1871, qui porte en lui un lourd secret.

Vous l’aurez compris, Amours ne se lit pas simplement comme une satire de la bourgeoisie. L’histoire bascule très vite vers des contrées particulièrement inattendues. Sans dévoiler d’ores et déjà la teneur du récit, sachez que le manque affectif, le désir et l’amour tout simplement, vont prendre une place centrale au fil des pages. Mais comment faire grandir une telle effusion de sentiments dans une maison où la rigueur morale, religieuse et le silence ont toujours eu toute leur place ?

Avec Amours, Léonor de Recondo nous offre un roman tout en profondeurs et en finesse, et dépeint l’ambiance du début du siècle dernier avec autant d’aisance et de talent qu’on pu le faire des contemporains comme Octave Mirbeau, pour ne citer que lui.
Amours parait le 8 janvier prochain aux éditions Sabine Wespieser. »