LIRE-MAGAZINE LITTÉRAIRE, Camille Thomine, mars 2022


Pensées de Mahler

Dans la Neuvième Symphonie de son idole Mahler, le compositeur Alban Berg entendait un « indicible amour du monde, l’aspiration à y vivre en paix, à y jouir pleinement de la nature – avant que ne survienne la mort, inéluctable. »

Robert Seethaler semble s’être souvenu de cette interprétation crépusculaire pour imaginer l’ultime voyage en mer du chef d’orchestre, de New York à Vienne où il s’éteignit en 1911. Transi et mélancolique sur le pont de L’Amerika, Gustav Mahler s’y remémore les souvenirs les plus sombres – la perte de sa fille Maria, l’infidélité de sa femme Alma – comme les plus lumineux – le triomphe de la Huitième Symphonie ou la silhouette inoubliable d’une sauterelle en été.

Déjouant une partition trop attendue, Seethaler se contente dans Le Dernier Mouvement d’effleurer les épisodes les plus connus pour progresser par notes subtiles. Ici, le vieux pupitre mité et bancal, là les gouttelettes de condensation retombant en pluie sous un tonnerre d’applaudissements. Le compositeur du Chant de la Terre y apparaît en travailleur acharné et intense ; insomniaque, migraineux et sensible à l’extrême, capable de pleurer devant un lever de soleil ou la respiration régulière de son grand amour. En maestro moins du lyrisme épique et des grandes envolées sauvages que des contrepoints énigmatiques et finales morendo.