LIVRES HEBDO, Fanny Taillandier, vendredi 3 janvier 2014


« La vie est un roman »

« Duong Thu Huong livre un texte-fleuve, à la fois roman d’apprentissage et réflexion sur les désordres de l’amour, où tout se noue au pied des Collines d’eucalyptus.

[…] Thanh est le héros du roman, et lorsque nous le rencontrons, il est au bagne pour vingt-cinq ans. Ce qui l’y a conduit a ses racines au milieu de la forêt d’eucalyptus.

C’est en effet là qu’il a fait la connaissance de Phu Vuong, le fils famélique d’une famille misérable et décadente. Thanh l’a fui, mais le destin, ou quelque chose d’autre encore, voudra qu’il rencontre à nouveau ce garçon devenu jeune homme, et que dans ses bras il découvre pour la première fois son désir pour les hommes. […]

Roman sur l’amour plutôt que roman d’amour, Les Collines d’eucalyptus réfléchit à l’attirance et à ses pièges, aux folies du cœur qui brisent les vies. De multiples récits enchâssés apportent leur écho aux affres de Thanh, mettant en scène tour à tour une femme amoureuse victime et bourreau d’un enfant pervers, un homosexuel contraint d’épouser une érotomane, une épouse sacrificielle qui s’affame pour faire vivre son mari, comme autant de variations sur un même thème, celui de la difficulté de conjuguer l’inclination et le réel. […] La vie est complexe. Voilà ce qu’apprend Thanh le temps de devenir adulte ; tout peut basculer d’une seconde à l’autre, de la joie au malheur et vice versa : les baies rouges qui donnent au paysage une note d’une beauté magique sont de la même couleur que le sang que les balles, les couteaux, et autres armes meurtrières font jaillir du corps de leurs victimes. La beauté est toujours mêlée, et c’est une des forces de ce roman que de célébrer la poésie du monde à chaque page, et au milieu de chaque drame […].

La vie est complexe, mais le roman imite son souffle qui veut que chacun jusqu’au bout continue d’avancer. On plonge dans la lecture de l’histoire de Thanh, avec lui on parcourt le Viet Nâm, communiste et campagnard, citadin et touffu, ouvrier, métis, brumeux ou brûlant. Ses pérégrinations et ses doutes nous attachent à lui via une ironie empreinte de tendresse qui n’est pas sans rappeler celle d’un Stendhal. Et comme dans la vie, à la dernière page on voudrait encore connaître la suite. »