LIVRES HEBDO, Olivier Mony, vendredi 31 mai 2013


« Sur les falaises de marbre »

« Cela commence lorsque tout est fini. Lorsque, pour Michelangelo, 30 ans en ce printemps 1505, la promesse du bonheur s’enfuit quand, sur une table de dissection, lui est amené le corps tant convoité et désormais sans vie d’Andrea, un jeune moine dont la beauté lui était une consolation. Le soir même, le sculpteur s’en va, exilant son chagrin vers Carrare, vers ses falaises de marbre d’où naîtra le tombeau monumental que Jules II lui a commandé. Deux livres l’accompagnent : un ouvrage de Pétrarque et une bible que lui a laissée Andrea. S’attache aussi à ses pas le souvenir odieux de ce qui a été et n’est plus, de ce qui aurait pu être et ne sera jamais… Pourtant, durant les mois qu’il passera à Carrare, Michelangelo rencontrera, parmi les carriers (et dans la famille Topolino, le plus amical d’entre eux), Cavallino, un fou lumineux qui parle à l’oreille des bêtes et veut tant se croire cheval que l’on pourrait s’y tromper, et Michele, un orphelin de 6 ans. L’enfant et le sculpteur vont peu à peu s’apprivoiser, apprivoiser leur deuil, et ce compagnonnage va permettre à Michelangelo d’affronter enfin les ombres du passé et celles de la création.

Tout dans ce Pietra viva, troisième roman de Léonor de Récondo (après La Grâce du cyprès blanc, Le Temps qu’il fait, 2010, et surtout le déjà très réussi Rêves oubliés, Sabine Wespieser, 2012, réédité en cette rentrée chez Points), est affaire de ligne mélodique, de note juste. Et de fait, Récondo écrit comme la violoniste baroque qu’elle est aussi. Son écriture, toute dans la sensation, porte la trace d’une belle tension poétique (on songe parfois en la lisant à La Demande, chez Verdier en 1999, de la regrettée Michèle Desbordes.) Andrea n’est plus là. Michelangelo attend quelques instants encore, puis souffle sa bougie. Dormir, oublier, sculpter les vivants et les morts qui peuplent son imagination. Dénuder la pierre et ne laisser, en son centre, que son cœur battant. Joli programme. »