LUXEMBURGER WORT, Sophie Guinard, samedi 17 mai 2014


« Trois générations, trois femmes, trois destins : Le Livre des secrets, un roman historique subtil et envoûtant »

« Victime de la bêtise, de la méchanceté, des conventions et de la lâcheté : depuis cinquante-cinq ans, la vieille Maria vit recluse, au sens propre du terme, dans sa maison située sur une côte de Nouvelle-Zélande.

Connue comme la sorcière de Waipu, elle évoque au crépuscule de sa vie l’histoire de sa mère Annie et de sa grand-mère Isabella dont elle a découvert le journal, son Livre des secrets. Cette dernière quitta en 1817 son Écosse natale avec de nombreux paysans contraints à l’exil par les propriétaires terriens.

Suivant un prédicateur mystique, Norman McLeod appelé l’Homme par ses disciples, un illuminé à la limite du fanatisme, ils atteignent la Nouvelle-Écosse après une traversée des plus éprouvantes.

La petite colonie pauvre, crédule et pieuse n’a rien à perdre et fait preuve de solidarité face aux épreuves et à la nature vierge, belle et sauvage. Fatalistes, désespérés parfois, les hommes et les femmes se soumettent à leur destin, à Dieu mais surtout à McLeod. D’ailleurs McLeod se prend pour Dieu, un dieu tout-puissant, méprisant, orgueilleux dont la vie n’est que certitudes absolues. Il sait ce qu’il y a de mieux pour ses fidèles.

Mais Isabella, la donzelle qui s’imagine pouvoir penser par elle-même, est, elle, un peu rebelle, aspire à la liberté et en refusant de se soumettre à la volonté des autres se met peu à peu en marge de cette micro-société. Pour le plus grand malheur de sa fille Annie qui n’aspire qu’à se couler dans le moule imposé par l’Homme : cette communauté où le péché est au centre de tout et la culpabilité partout, déchire aussi les familles…

Trente ans après leur arrivée dans le nord du continent américain, la famine les rattrape. Et voilà le Peuple embarqué à nouveau derrière son très autoritaire guide, d’abord pour l’Australie puis pour la Nouvelle-Zélande. Annie s’y mariera et sa fille Maria y survivra encore de longues années… Si l’émigration et le déracinement en sont les toiles de fond – le contexte historique et le périple sont par ailleurs très bien décrits –, ce roman dresse surtout un état des lieux implacable sur la condition des femmes à ces époques et dans ce milieu.

Le personnage de McLeod, ainsi que ses voyages à la tête de son peuple ont réellement existé. À partir de cette figure charismatique et quelque peu effrayante, Fiona Kidman tisse dans un style poétique, musical et envoûtant un très beau récit romanesque porté par des portraits de femmes touchants et sensibles.

Ses trois héroïnes rêvent d’une grande vie et d’un grand amour mais se fracassent contre une réalité étriquée, des croyances religieuses sclérosantes et sexistes, l’orgueil démesuré d’un gourou misogyne. Finalement contraintes de capituler pour survivre, elles oscillent entre colère et résignation, fragilité et force de caractère.

Ce livre est aussi un bel hommage à tous ces colons qui traversèrent les océans, ayant tout quitté pour d’incroyables aventures mais au prix de quels sacrifices… Puissance psychologique, force émotionnelle et portée universelle : un excellent roman qui fait mouche. »