MEDIAPART.FR, Le blog de Colette Lallement-Duchoze, vendredi 15 novembre 2013


« Michelangelo a trente ans ; déjà (re)connu pour sa Piéta et son David, il se rend à Carrare afin de sélectionner les blocs de marbre nécessaires au mausolée que lui a commandé de son vivant le pape Jules II. Nous allons le suivre pendant six mois, nous allons arpenter avec lui le chemin qui le mène chaque jour du village à la carrière – cette cathédrale à ciel ouvert – et contempler avec lui cette nature alma mater. Six mois qui vont être ponctués aussi par des révélations à valeur d’épiphanies. Voilà ce qu’évoque le roman de Léonor de Récondo Pietra viva ; roman à l’écriture si délicate et musicale qu’il est à la fois partition et mausolée/écrin dans lequel le bleu du lapis-lazuli écrasé s’unit aux vers de Pétrarque.
Les trente neuf morceaux qui le composent suivent l’ordre chronologique […] mais ils obéissent en fait à une architecture secrète. D’une part l’auteur utilise des raccords qui les font se croiser et non se juxtaposer en morceaux éclatés ; d’autre part la récurrence de la phrase la mort fait l’éloge de la vie comme la nuit celui du jour ou les variations sur certains thèmes – l’acte créateur, la sensualité du beau entre autres – créent un tempo en scandant le récit. […]

Le sculpteur dont la chair est faite de pierre vive imagine, sculpte, crée afin que sa volonté se fasse sur la pierre, il sait qu’en maîtrisant la pierre il maîtrise le monde, fait accéder à l’éternel un éclat de matière minérale. Le lecteur, lui, sera sensible à la construction de ces phrases – la simplicité n’est qu’apparente – qui résonnent comme taillées ciselées elles aussi dans la matrice originelle du Verbe (tailler, lisser, polir).
Au cours de son séjour à Carrare, Michelangelo, l’hirsute au nez amoché, le solitaire orgueilleux va progressivement ouvrir son cœur aux autres. Lui le magicien de la pierre se laisse en effet guider par deux êtres apparemment simples mais si proches des vérités profondes, des arcanes de la vie de l’univers et des êtres. Cavallino et Michele. […] Et c’est grâce à quatre sensations que le souvenir de la mère aimée ressuscitera. Chaque sensation est évoquée – et comme sertie – dans un couplet (en fin de chapitre) ; au final un long poème les réunit en synesthésie… La mère ressuscitée par la grâce de l’enfant, par sa naïveté qui force la vérité des autres.

Le roman s’ouvrait sur une tragédie : la mort prématurée de frère Andrea, dont la beauté avait irradié Michelangelo (Tu es la beauté mortelle à l’état pur). Son fantôme le poursuit à Carrare. Il sculptera sa main sous le regard admiratif des tailleurs, main qui tient un livre de chansons aux paroles inventées. […]

Le roman se clôt sur une promesse de vie : La chevelure de pluie s’est défaite / De l’orage naît l’espoir infini / D’un amour retrouvé / Qui s’arrache à l’oubli / Pour ressusciter la mémoire de l’enfant / Dans le cœur des hommes. »