MEDIAPART, Frédéric L’Helgoualch, jeudi 23 septembre 2021


« […] À travers ses multiples personnages témoins et l’histoire de cet homme sensible coupé à chaque tentative dans ses élans par les codes d’un système inégalitaire, Louis-Philippe Dalembert dépeint les chemins restreints offerts aux hommes et aux femmes dans cette ville réputée la plus ségréguée du pays, mais il évoque aussi les mouvements (Black Lives Matter) et forces nouvelles qui se construisent, partent parfois dans tous les sens (‘sororité’ et autres concepts woke certes inventifs mais dont il est permis de douter de l’application pérenne) mais cherchent, creusent, inventent (encore davantage sous le mandat du clown républicain) pour démolir ou sauter le mur mental qui divise la société en Wasp (White Anglo-Saxon Protestant), Afro-Américains et autres dénominations définitives. La schizophrénie de cette société n’en est que plus palpable et difficile à suivre : comment atteindre ce rêve chanté à haute voix par Bob Marley (War) d’une société dans laquelle la couleur de peau n’aurait pas plus d’importance que celle des yeux tout en continuant à penser, plus que jamais, en terme de communautés ?

[…] Le lecteur l’aura compris, Milwaukee Blues ne le plonge pas seulement dans les quartiers abandonnés de la cité américaine (dans laquelle Louis-Philippe Dalembert a officié en tant qu’enseignant), dans un parcours musical qui brosse le portrait d’une Amérique déchirée, dans une réflexion autour des réseaux sociaux et des nouvelles techniques de lutte (de défense) mais le pousse à réfléchir à des thématiques, des réalités insupportables qui dépassent le cadre étatsunien.

Puisque l’écrivain est l’une meilleures plumes d’Haïti, comment ne pas ajouter un ultime mot sur l’actualité des derniers jours, si parlante ? De ces images terribles de migrants haïtiens fuyant la misère post-séisme et la violence endémique de leur île (violence entretenue par les États-Unis qui soutiennent les régimes successifs, même autocrates, et vendent les armes qui tuent au hasard dans les rues de Port-au-Prince) refoulés près du Rio Grande par des rangers blancs à cheval, lasso en main ? Images dévastatrices qui renvoient aux pires années des maîtres et des esclaves. Les novlangues peuvent se multiplier, les symboles se succéder (Kamala Harris ? Elle fut envoyée doucher les espoirs, annoncer la trahison des promesses de campagne du candidat Biden) : à quoi bon, si de telles images existent, si des Emmett, des Eric, des George continuent de suffoquer sous le poids des corps dominateurs de la police ?

Ne pas désespérer, répond Dalembert. Ne pas se replier. Saisir l’humanité de chacun, seule chose à faire pour espérer avancer, ensemble. Pour changer les réalités, stopper les poisons de l’histoire, du déterminisme racial et social. »