PAEIS-BERLIN, novembre 2014


« De ce siècle qui s’achève, j’ai vécu les passions brûlantes et les frissons gelés, écrit Vlady à son fils Karl dans une longue lettre de réconciliation, au début des années 1990. Entre eux se sont dressés les non-dits et les malentendus générationnels : l’un vit à l’Est de Berlin fraîchement réunifié, l’autre à Bonn, alors capitale de l’Allemagne. Le premier chérit sa jeunesse marxiste rejetant la fadeur et l’uniformité de l’époque, l’autre fait carrière au SPD et oppose son pragmatisme aux utopies mortifères d’hier. Dans l’espoir de mieux se faire comprendre et d’éclairer les points aveugles de sa propre existence, Vlady remonte les linéaments de sa généalogie. D’un côté flotte la figure de Ludwig, le père mythique, chef des opérations secrètes du Parti social-démocrate russe en Europe et assassiné avant sa naissance. De l’autre, Gertrude, la mère juive, révolutionnaire et passionnée, morte en emportant ses plus obscurs secrets. Comme il explorait l’histoire d’une religion dans les cinq tomes de son Quintet de l’islam, Tariq Ali s’attache ici aux soubresauts d’une pensée politique, sans cesse infléchie, déviée ou trahie au gré de ses divers mentors, des accidents historiques, mais aussi des parcours individuels et microscopiques de chacun de ses militants. D’une missive à l’autre, ce sont les tourments du XXe siècle qui défilent avec eux, toute l’histoire chahutée du communisme, de son âge d’or à ses débordements aux mains de Staline, le fossoyeur de la révolution. Ludwig, Christina, Lisa, Gertrude… Les parents de Vlady et leurs amis ont tous servi le renseignement militaire soviétique au nom d’une cause nourrie d’espoir, de réunions tardives et enflammées, d’opérations secrètes et de fausses identités. Mais tous aussi ont bientôt connu la peur, les interrogatoires, les purges du Parti et la désillusion. Et c’est de ce terreau ensanglanté qu’a germé la RDA de Vlady. Une RDA certes imparfaite mais aux fondements de laquelle subsistaient encore les espérances et les idéaux d’une génération perdue. »