PAGE DES LIBRAIRES, entretien avec Guillaume Le Douarin de la librairie L’Écume des pages (Paris VI), automne 2023


D’un lieu à l’autre

Un lieu anonyme, une époque fondatrice pour l’auteur ‒ ses chères années 1960-1970 ‒ : en quelque 200 pages, Robert Seethaler nous plonge dans sa Vienne à jamais disparue. Quoi de plus logique qu’une rencontre à la terrasse d’un café, nommé celui-ci, pour partager quelques instants avec cet auteur majeur ?

Pourquoi avoir choisi la ville de Vienne pour décor et y a-t-il une intention de se mettre dans les pas des grands écrivains de cafés, comme Altenberg par exemple ?

Robert Seethaler – J’ai déjà évoqué dans mes livres la ville de Vienne, notamment dans Le Tabac Tresniek. Dans ce roman, la temporalité était différente : je m’étais beaucoup amusé à mettre en scène des personnages importants de cette époque, comme Freud par exemple. Je note que vous connaissez Altenberg en France ; il a même une sorte de statue dans le café où il avait l’habitude d’écrire. Il y a en effet une tradition à Vienne d’écriture dans les cafés, ce qui est fort intéressant. Mais sur ce nouveau projet, j’ai vraiment voulu sortir du « folklore » lié à la ville de Vienne. Mon projet est beaucoup plus simple et personnel : la nostalgie de mes années de jeunesse a été un moteur important pour cette création. J’ai déroulé cette histoire avec mes sensations et mon vécu de cette l’époque, en réalité mes intuitions et souvenirs de jeunesse.

Peut-on dire que la grande thématique de ce roman, c’est l’amour sous toutes ses formes (des gens, des personnages, du lieu) ? Robert Simon, le personnage principal est-il passé à côté de sa vie amoureuse ?

R. S. – En fait, quand j’écris un roman, c’est beaucoup plus simple pour moi. Je ne peux répondre à cette question car les personnages ont leur propre évolution. En tout cas, je ne suis pas un double de Robert Simon (sourire de l’auteur). En revanche, j’essaye de recréer mon expérience sensible de cette époque. Ce qui m’intéresse, c’est l’instant présent et la vérité des personnages dans leur quotidien. Il me semble important de simplement évoquer leurs vies, sans artifices. Pour répondre finalement à votre question, je n’ai pas comme intention de délivrer des messages ou de mettre des thématiques particulières en évidence : le texte se suffit à lui-même et il a sa propre vie grâce au lecteur.

J’ai perçu dans votre roman beaucoup de poésie et une certaine musicalité : êtes-vous mélomane ? Autrement dit, la musique est-elle importante dans votre travail ?

R. S. – J’apprécie que vous ayez remarqué cet aspect de mon travail. La musique est capitale dans mes textes. J’avais déjà évoqué dans un précédent roman, Le Dernier Mouvement, la figure de Gustav Mahler. Je travaille à faire passer une certaine musicalité dans mes histoires. Il faut que cela soit présent, se fonde dans le texte sans jamais apparaître directement. La petite musique de la vie en somme ! Cet aspect est essentiel dans mes compositions. Cela permet surtout de donner une direction à mon écriture et le lecteur est comme guidé dans son ressenti.

Vous mettez souvent en relief des instantanés de vie dans vos livres. Le côté cyclique de vos histoires est-il également primordial ?

R. S. – Merci d’avoir noté cette facette dans mon écriture. Même si mes récits sont simples et se suffisent à eux-mêmes, j’aime qu’une histoire soit circulaire, avec un début et une fin. C’est un canevas qui me permet d’attaquer l’écriture et, du coup, je sais où me mènent mes histoires. Par contre, cela ne fige pas du tout mon récit et le lecteur peut trouver plusieurs issues. Le récit est clos mais libre au lecteur de voir ce qu’il veut ou imagine à la fin. C’est une grande liberté pour tout le monde.

Quelle différence faites-vous entre un café et un bistrot et pourquoi ce titre, Le Café sans nom ?

R. S. – La différence est mince mais le plus important est sans doute que, jadis, ces lieux que sont les cafés ont fait partie de ma vie, ils m’ont construit et marqué. Quant au titre, il faut se tourner vers Robert Simon, lui seul a la réponse. Tout est dans le livre. Ces histoires, ces vies, chacun les interprète comme il le souhaite. Moi j’écris et le lecteur est libre de s’identifier aux personnages du Café sans nom, tout simplement.

Une fois de plus Robert Seethaler nous enchante avec un récit aux multiples facettes. Ce texte est peut-être son plus personnel. À partir de souvenirs et sensations de jeunesse, nous touchons, peut-être, au plus près, l’essence même de cet écrivain mystérieux. Dans ce Café sans nom, il met en scène une véritable comédie humaine. Les êtres changent, le temps passe mais le lecteur entre profondément en empathie avec cet univers. Tout est simple et évident comme une musique qui nous bercerait depuis toujours. Lire Robert Seethaler, c’est un peu revivre un bout de vie, de sa vie. Cette poésie à l’état pur est parfaitement rendue grâce à la traduction d’Élisabeth Landes et Herbert Wolf.

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