TÉLÉRAMA, Christine Ferniot, mercredi 10 octobre 2018


« Au début, « elle » est un regard-caméra, tournant autour des silhouettes qui traversent l’aéroport, éternellement pressées, sûres de leur destination. Une famille russe affolée devant les panneaux d’affichage, une poignée de Japonais bardés de sacs YSL, des hommes d’affaires qui font l’aller-retour dans la journée, un groupe d’hôtesses riant aux éclats… « Elle » n’a pas de nom, la tête en friche, arpentant les couloirs, prenant des ascenseurs, faisant mine d’attendre quelqu’un qui ne viendra jamais. Il faut marcher, toujours marcher pour ne pas être captée par les caméras de surveillance. Depuis des mois, « elle » habite ici et connaît tous les trucs pour éviter l’arrestation.

Valise impeccable, tenue élégante, regard affairé, il s’agit de n’avoir pas l’air de ce qu’elle est : une SDF qui vit derrière des portes coulissantes, au fond des parkings, dans des galeries souterraines, se lavant dans les toilettes et mangeant les sandwiches abandonnés par les voyageurs. Très vite, le lecteur est à ses côtés, écoute avec elle le ronflement magnifique des avions qui décollent sans nous. Le roman de Tiffany Tavernier est fascinant, obsédant, certes documenté mais toujours poétique. Elle dit si bien le chaos dans l’esprit de son héroïne et la beauté du terminal 2 quand la nuit tombe ; l’espoir de recouvrer la mémoire et la peur d’affronter la réalité. On voudrait ne jamais quitter le Roissy de cette romancière habitée, parcourir encore ce lieu magique, tel un naufragé atteignant son île et subjugué par sa beauté vertigineuse. »