TÉLÉRAMA, TTT, Christine Ferniot, mercredi 21 septembre


« Sans le savoir, une Irlandaise s’éprend d’un génocidaire de Bosnie. Un portrait de femme bouleversant qui vacille de la honte à l’expiation.

Quand il apparaît dans le petit village irlandais, Vladimir Dragan en impose, avec sa silhouette de Raspoutine. Il s’affirme guérisseur, venu du Monténégro, et parvient rapidement à calmer les méfiants en soignant sœur Bonaventure, l’une des quatre nonnes du couvent tout proche. Quant à la belle Fidelma, on peut parler de coup de foudre. La jeune femme, mariée à un homme âgé, tombe dans les bras de Dragan, aveuglée par le plaisir et d’aléatoires promesses. Peu de temps après, l’homme est arrêté, inculpé pour génocide et nettoyage ethnique durant la guerre de Bosnie. Ce n’est pourtant pas cette histoire de duperie et de criminel en cavale qui intéresse ici Edna O’Brien. Depuis ses premiers livres – le tout premier, Les Filles de la campagne, a paru en 1960 –, cette grande romancière (née en 1930) s’attache aux héroïnes bravaches. Celles qui refusent les carcans, brisent les tabous, telles des sorcières trop libres, dans un pays contraint par la religion et où les femmes comptent moins que les bêtes. Fidelma est victime de sa naïveté, de son désir pour un effroyable menteur. Elle n’a d’autre choix que la fuite vers Londres. Là-bas, elle est une moins que rien, travaillant la nuit pour un salaire de misère, hantée par son passé, entourée de réfugiés qui, comme elle, subissent un quotidien dévasté par la barbarie sociale.

Depuis la publication, voici quatre ans, de ses mémoires, parus en France sous le titre Fille de la campagne, on pensait qu’Edna O’Brien s’était écartée du roman. Avec ces Petites Chaises rouges, elle y revient avec maîtrise et puissance, offrant une histoire de honte et de rédemption, multipliant les voix et les points de vue, tout en préservant sa belle écriture lyrique. Cette Irlandaise en colère réussit un livre bouleversant et contemporain, traversé par la souffrance d’un peuple, la force du Mal et sa dualité, qui est aussi le portrait d’une femme qui se bat seule, et jusqu’au bout. »