LE PARISIEN WEEK-END, Yolaine de Chanaud, samedi 15 octobre 2022


La claque
Sarah Jollien-Fardel

Réfugiée à Lausanne où elle a fui son violeur de père, Jeanne se noie dans la douleur et la culpabilité d’avoir quitté sa mère.
Un roman puissant comme un hurlement.

Un uppercut. Dès les premières lignes, Sa préférée nous plonge dans un univers de violence et de brutalité dont les tentacules se déploieront jusqu’au point final du livre. La narratrice, Jeanne, grandit dans les montagnes du Valais, en Suisse. Son père, Louis, est maltraitant. Sa mère, Claire, sa grande sœur, Emma, et elle-même paient les moindres sautes d’humeur et excès d’alcool de Louis par des séances de tabassages et des viols réguliers dont l’autrice ne nous épargne rien, comme ce jour où, « emprisonnée par ses paluches d’ogre », la petite Jeanne est balancée contre les murs. Constamment sur ses gardes, l’enfant surveille, la peur au ventre, les réactions de ce père haï et si prévisible dans sa fureur animale. Au cœur de cette région montagnarde, tout le monde sait mais personne ne parle. Ici, comme on dit, « tu la fermes et tu serres les dents ». Jeanne, révoltée, fuit dès l’adolescence à Lausanne où elle part étudier. Elle a beau se jeter à corps perdu dans le travail, elle ne parvient pas à échapper à ses démons. Et à la culpabilité d’avoir abandonné sa mère adorée, s’ajoute son incapacité à sortir de cette enfance qui l’a détruite. Elle trouve un bien maigre répit en nageant dans le lac, comme pour se laver de son passé et dans les bras de Marine, « à l’empathie illimitée ». Pour elle, l’homosexualité n’a pas été un choix de cœur mais plutôt de survie, quand l’homme ne peut qu’être synonyme de souffrance. Jamais la haine ne la quittera.

Écrire avec fureur
Ce premier roman de la journaliste suisse Sarah Jollien-Fardel est un hurlement. Elle confie avoir rédigé les premières lignes d’une traite, s’être lancée dans l’écriture avec énergie et fureur, avant de reprendre son manuscrit pour le rendre le plus tranchant possible. Ce récit sur la douleur et l’impossibilité de trouver la paix est le plus percutant de la rentrée littéraire.