WWW.BAZ-ART.ORG, jeudi 14 janvier 2021


Tiffany Tavernier sonde les tréfonds de l’âme humaine

« Guy, si doux, alors que tout de moi voudrait le démolir, et où sans nulle colère – mais pourquoi, Guy, pourquoi est-ce que tu ne te défends pas ? – tu subis la folie de ma rage, ton œil, offrande qui me regarde et où je vois mon ombre comme pour la première fois, ton œil, presque lac à présent, transparent, translucide et duquel je crois entendre s’élever ce murmure impossible, « continue, continue », alors que tout de moi cherche l’ignoble »

Thierry, homme ordinaire de niveau social modeste (un ouvrier qui répare des machines dysfonctionnelles) vit sans trop se poser de questions avec sa femme Élisabeth dans une maison isolée en pleine forêt où seul un couple de voisins, Guy et Chantal leur tiennent compagnie.

Un samedi matin, a priori normal, il voit la maison de ses voisins , personnes À priori sans histoire encerclée par des bataillons de policiers armés qui ne sont  visiblement pas là pour rigoler…

Thierry essaie d’interroger le commissaire chargé de cette intervention, mais se heurte très vite à un mur..

Le lendemain, c’est une armée de journalistes qui veulent avoir l’avis de voisin de Thierry sur ce qui s’est passé dans la maison d’à côté.

Mais quelles atrocités ont bien pu faire Chantal et Guy et surtout comment Thierry et sa copine, qui partageaient pas mal de complicité avec eux, n’ont ils rien vu venir ?

Comme on n’est dans un roman de Tiffany Tavernier et pas dans un  polar de bas étage, la réponse à la première question n’est finalement pas si essentielle et sera donné assez rapidement dans l’intrigue.

« Quand soudain, à une vitesse effarante, son bras, sa main, à une vitesse que je ne comprends pas tandis que j’essaie de retrouver les mots en moi, ceux du gâchis, du sang et du dessous des couvertures, son bras, sa main… immenses soudain. Cinglant l’air. Mais enfin, qu’est-ce que… tandis qu’à moins de dix centimètres ses yeux féroces me fixent et que, proprement ahuri, je vois son bras… à une vitesse qui… s’abattre et me gifler avec une force redoutable.  »

Sans quand même trop spoiler, disons que Guy a bien été coupables de crimes horribles (si on vous parle des Fourniret ça vous dit quelque chose ?), mais que L’Ami s’attarde beaucoup plus aux impacts que cette révélation peut avoir pour Thierry,  personnalité lambda en apparence mais incroyablement tourmentée  à l’intérieur, que cette découverte va perturber à un point inimaginable.

Thierry va assister au délitement de tous ses repères affectifs et le lecteur y assiste, impuissant et compassionnel.

Tiffany Tavernier, qu’on connait un petit peu depuis quelques années, spécialiste des âmes tourmentées comme elle l’avait démontré avec le très beau Roissy continue de creuser sous le vernis des apparences et cette solitude qui étreint chacun de nous.

Dans L’Ami, elle nous dévoile avec énormément de brio le cheminement intérieur d’un homme qui s’effondre et va s’efforcer de renaitre à la vie, même si cette reconstruction ne se fera pas sans heurts.

Avec son roman composé de deux parties bien distinctes (la première autour de l’incompréhension et la seconde autour de l’introspection de Thierry), Tiffany Tavernier déjoue les attentes du début de son roman et dresse le portrait fin et sensible d’un homme pas si ordinaire que cela…Si on excepte les dernières pages où des personnages un peu bigger than life (un ermite, une prostituée blessée par la vie) font une apparition superflue, L’Ami  est une lecture étonnante , touchante et  fascinante, plongée dans les abymes d’un homme qui tombe et qui va remonter devant nos yeux admiratifs…

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