BLOG.LIREKA.COM, Cécile Perronet, lundi 5 octobre 2020


Mauvaises herbes de Dima Abdallah : une âpre douceur libanaise

« D’une plume sensible et poétique qui fait la part belle aux répétitions et aux anaphores, Dima Abdallah relate l’histoire d’un père et de sa fille, bientôt séparés par la Méditerranée et par les différents parfums de l’air que chacun respire.

Parce que le Liban n’en est pas à ses premiers ravages, parce que le pays n’a pas eu de chance et que sa terre est gorgée de sang, Dima Abdallah rappelle que c’est aussi une contrée fertile où dodelinent oliviers et figuiers, amandiers et marjolaine, basilic et romarin. Au bord de la mer ou au bord d’un balcon, les plantes poussent, colonisent le moindre espace et embaument l’air. L’odeur ambiante douce-amère semble être le reflet de tout ce roman, « un savant mélange de carburant, d’iode, de pots d’échappement et de cigarettes » – un fumet rassurant, familier, âpre mais tendre aux petites narines de la narratrice. Celle-ci a six ans alors que s’ouvre le livre qui, ensuite, avancera par bonds, d’année en année, de mélodie en mélodie, parce que Mauvaises herbes est avant tout un poème, des phrases en prose qui auraient pu être des vers. Les anaphores se succèdent, rappellent la douleur de l’éloignement mais aussi la douceur des souvenirs. Les répétitions ne sont pas évitées, elles viennent comme témoigner de la nécessité de se remémorer. Les tirets que certains voient comme salvateurs, comme pause narrative nécessaire, n’existent pas dans ces pages, pour que le récit nous emporte, nous bouleverse, nous violente délicatement.

Deux voix se font écho. Le père, le géant, le protecteur ; la fille, fragile, sensible. Le « je » répond au « je », le « il » devient « elle » et tous deux racontent l’autre, le quotidien au cœur de la guerre civile, l’enfance percée d’éclats de bombes, la lumière de la mer, les rayons du soleil sur le balcon, sur les plantes en pots. Et puis la séparation, inévitable, la nécessité de se dire adieu et de poursuivre sa route sans l’autre, avec quelques images à trier pour ne pas les laisser envahir l’esprit. Le père a besoin de son pays, de son Liban, il incarne sa terre natale, il ne peut partir ; la fille suit son frère et sa mère, loin des immeubles qui s’effondrent, des rues terreuses et trouées, loin de la main de ce géant, son ancre, son amarre à la vie. Toujours cabossée, jamais semblable aux autres, toujours singulière, celle dont le nom sera tu jusqu’à la dernière ligne mais qui semble être l’autrice elle-même, avait besoin de ce repère, de cette ombre rassurante et de cet auriculaire qu’elle serrait dans ses petits doigts d’enfant. Solitaire mais incapable de vivre loin des siens, peu bavarde mais pleine de pensées anxieuses, elle protège son père comme lui tâchait de la protéger de ses craintes et de ses dérives, de ses verres trop nombreux.

J’ai eu un véritable coup de cœur pour ce roman poétique et plein d’émotions. Impossible d’être insensible à la plume de Dima Abdallah, entre âpreté et suaves réminiscences, au rythme parfois si proche de celui de Ça raconte Sarah de Pauline Delabroy-Allard. »

Mauvaises herbes de Dima Abdallah : une âpre douceur libanaise