Coup de cœur de la librairie LA NUIT DES TEMPS (Rennes)


« Cela pourrait ressembler à un récit comme on en a tant lu. Une femme se lance sur les traces d’une histoire qui la traverse autant qu’elle la dépasse. Et pourtant, très vite, le doute est balayé. La méfiance s’évanouit et laisse place à une lecture singulière. Ce roman-là porte quelque chose en lui de différent, comme une certaine fraîcheur. Malgré la mort d’Abdelkader. Malgré l’absence des paroles des femmes. Malgré les contraintes, les errances, la violence et l’exploitation.
Il y a dans ce roman paru en 2017 chez Sabine Wespieser, une grande sincérité et une certaine rigueur qui transparaissent. Marquée par la visite de la cité Climat de France à Alger, Marie Richeux établit des allers-retours réguliers avec la cité de Meudon-la-Forêt. Celle que Fernand Pouillon a conçu en pensant au bonheur de la collectivité. Celle où elle a grandit. Avec pudeur et tout en transparence, sans jamais faire peser sur les lecteurs les poids de ses découvertes, la narratrice écoute la France et l’Algérie. Elle laisse entrevoir ce qui les éloigne pour toujours comme ce qui les rapproche encore. Les harkis et les valises. Les avions, les attentats. Les nouvelles amours naissantes.
Le trou laissé dans les manuels scolaires, le flou autour des événements génèrent ce besoin avide de questionner les anciens. Mais il est difficile de savoir qui l’on peut faire parler. De quel droit replonger ces personnes dans des guerres, des lois qui n’ont plus cours et des déchirements sans nom ? Cette histoire qu’on a tant besoin de connaître.
Le travail de Marie Richeux nous fait toucher du bout des doigts l’épaisseur du passé. Le texte se construit, pierre après pierre, sur des récits personnels et des documents historiques. Il révèle alors le riche entremêlement de trajectoires qui ne demandent qu’à se rejoindre. Se parler. Si les non-dits semblent suivre une loi qui leur est propre, les mots parviennent à se frayer spontanément un chemin jusqu’à la parole. La mémoire devient soudain si proche. Commune. Facile à partager.
Les hommes travaillent déjà dans le petit jour. Il y a du vivable dans la guerre. Voilà ce que l’on apprend contre soi-même, loin des partitions simples, à soixante ans d’écart.
D’un bout à l’autre de l’histoire entre la France et l’Algérie, Marie-Meudon-La-Forêt devient un véritable personnage. C’est comme une musique qui s’installe au fil du roman. Un nom qui prend son autonomie. Une vie qui apparaît. » • Hugo Hermelin