ELLE, Jeanne de Ménibus, vendredi 2 octobre 2020


Beyrouth, mon amour

« Au début, on pourrait être dans une scène tirée de La vie est belle de Roberto Benigni. Dans une cour d’école, des coups de feu résonnent. Tous les enfants sanglotent sauf une fillette aux boucles indociles. Elle n’a pas peur, non. Elle attend que son « géant » arrive et lui tende son grand doigt. Ensemble, ils traverseront la foule inquiète en se racontant des blagues. On voudrait croire au miracle de l’innocence préservée par la tendresse. Mais dans le même temps la voix de son père, alternant avec la sienne, confesse son impuissance : « Je ne suis bon qu’à ce qu’on se tienne la main. » Pour immense que soit son amour, il est entravé par la pudeur et n’écarte pas l’angoisse perpétuelle. Bientôt, le départ vers un autre pays s’imposera comme la seule issue possible pour la narratrice, signant l’éclatement familial. Il viendra encore exacerber l’exil intérieur vécu par ces êtres trop sensibles, qui se perçoivent comme des « mauvaises herbes ». Très tôt, ils apprennent à composer, donnant le change et érigeant autour d’eux des digues de silence et d’oubli. Mais les défenses se font cage quand on n’arrive plus à les fissurer : personne ne soupçonne les combats que l’on y mène contre soi-même. Reste la littérature pour transcrire ce qu’on peine à vivre : « la poésie, c’est peut-être ce qu’on écrit quand on n’arrive pas à pleurer comme les autres. » Plus grande est la victoire lorsqu’on parvient à se frayer un chemin jusqu’au cœur d’autrui. »