ELLE, Olivia de Lamberterie, vendredi 27 septembre 2019


« Le bruit et la terreur »

« À 88 ans, Edna O’Brien se fond dans la peau d’une adolescente nigériane enlevée par Boko Haram : éprouvant et extraordinaire.

« Ne me demande rien », souffle Maryam à sa mère lorqu’elle la retrouve après sa captivité. Parce qu’il n’y a pas de mots pour dire ce voyage au bout de l’enfer. Pour raconter les braillements des hommes qui violent, le silence des filles « calmes comme des cadavres », les mains croisées de honte sur ce qui reste de leurs pagnes. Que pourrait-elle confier d’autre que ce sentiment : « Je suis morte et pas morte. » […] Le sidérant pari que remporte la romancière irlandaise […] consiste à offrir sa prose magnifique à ces lycéennes enlevées par les djihadistes de Boko Haram en 2014, à ces filles sans voix, parfois même à la langue littéralement arrachée. À 88 ans, Edna O’Brien est partie à Lagos recueillir leurs témoignages pour reconstituer la tragédie intime d’un pays, chaudron de guerres et de terreurs intimes.

Girl est le récit à la première personne de Maryam, arrachée à sa famille pour devenir une esclave sexuelle dans un camp, au milieu de la jungle. Ce qu’elle subit est inhumain, un carnage, une boucherie qu’Edna O’Brien fait ressentir au lecteur jusqu’au tréfonds de sa chair, jusqu’à l’insupportable. […] Après une évasion épique, le retour à la vie est un autre chemin de croix. Rescapée mais paria. […]

Girl est l’histoire d’une innocence bafouée, d’une fille qui n’est plus regardée comme une personne humaine mais comme un présage de mort. Edna O’Brien fait de Maryam une héroïne de mythologie. Son livre s’ouvre par ces mots d’Euripide : « Voici le bandage pour fermer vos blessures. » C’est ce que réalise somptueusement Edna O’Brien. »