EN ATTENDANT NADEAU, Anna-Livia Marchaison, mercredi 9 mars 2022


Dans Mauvaises herbes, son premier roman, Dima Abdallah donnait successivement à entendre les voix isolées d’un père et de sa fille dans le Beyrouth des années 1980, en pleine guerre civile. Ces intériorités solitaires semblaient communiquer entre elles à travers la superposition de leurs monologues, malgré les silences creusés par le temps et l’exil. L’autrice s’attachait à dépeindre leur perpétuelle négociation avec la mémoire, le père devenu au cours des années un être « doué pour l’oubli », et la jeune femme exilée à Paris s’arrangeant tant bien que mal avec le poids des souvenirs.

L’oubli se présente chez Dima Abdallah comme une recherche privilégiée, un principe réparateur et salvateur, comme une manière intime et personnelle de persister dans le monde. À lire les premières pages de Bleu nuit, on devine que vouloir oublier est une entreprise presque irréalisable.

Le roman commence comme s’il était le livre d’une seule voix, d’une seule couleur. Ses premières pages ne laissent en rien présager son élargissement mémoriel et poétique à venir, tant les échos du souvenir paraissent s’étouffer dans la circularité blanche et feutrée d’un quotidien ritualisé, celui d’un homme ayant développé « une vraie passion pour le ménage ». Du Liban, des prénoms, des sens en éveil, des musiques et de l’enfance, rien ne parvient encore. Cet homme, dont le lecteur ne connaîtra jamais le nom, narrateur de l’oubli par excellence, vit depuis des années dans l’espace clos de son appartement. Menacé par des crises d’angoisse, journaliste en télétravail qui n’a jamais visité les expositions sur lesquelles il écrit, il finit par se précipiter au dehors et vivre dans la rue pour échapper aux souvenirs qui l’assaillent. C’est à l’annonce du décès d’une femme autrefois aimée, Alma, que surgiront les premières images bleues du livre, le souvenir d’une mer à Cabourg en hiver, image elle-même vouée à repousser le souvenir plus refoulé encore de la Méditerranée en été.

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