ENCRES VAGABONDES, Brigitte Aubonnet, mercredi 13 mars 2024


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C’est un roman très bien construit sur l’emprise qu’un homme peut exercer sur sa compagne. Alice est très amoureuse et elle accepte ce qui est inacceptable. Des monologues au fil du roman montrent bien comment Alice essaye d’excuser celui qu’elle aime, comment elle se culpabilise elle-même. S’il est odieux avec elle, c’est qu’elle n’a pas fait ce qu’elle aurait dû faire.

« Qu’est-ce qui m’a pris, aussi, de lui parler à cette vitesse, cette vitesse qu’il exècre avec ce trop-plein d’excitation dans la voix, lui qui supporte si mal quand je me mets à parler fort, de tout lui déballer sans même lui laisser le temps de s’asseoir, de ne même pas avoir cherché à prendre en compte son niveau d’épuisement, de stress, lui qui, depuis le premier jour, pour me permettre de vivre sereine, se coltine toute la pression ! Et lorsque, sur son visage, j’ai vu poindre son énervement, de ne pas m’être arrêtée net, ne serait-ce que pour le laisser souffler, mais non, il a fallu que je prenne toute la place, moi et ma « petite joie » du moment, alors que lui, harassé par sa journée de travail… seulement non, ma « petite personne » en avait décidé autrement et, emporté par mon « narcissisme » j’ai continué sur le même débit à lui dire combien j’étais heureuse… »

La perversité de l’homme est très bien montrée. Il refuse qu’Alice travaille mais lui dit qu’il n’accepte pas qu’elle ne cherche pas plus efficacement un travail car ils ont des problèmes financiers.

Alice voit par hasard une annonce dans une église. Elle commence donc un travail particulier puisqu’il s’agit de trier des documents sur de potentiels Saintes ou Saints. Elle n’est pas croyante mais elle est entourée de prêtres et de femmes croyantes qui s’occupent d’elle. Toutes et tous sont lucides sur sa situation et l’encouragent à ne pas se laisser faire. La religion est présente dans le roman mais c’est un regard intéressant d’autant plus qu’une part de spiritualité et de magie existent aussi. Ida, une nounou qui a gardé Alice au Guatemala, pays où elle a vécu pendant dix ans avec ses parents, apporte cette part de magie étonnante.

Les problèmes du monde sont aussi évoqués. « Toutes s’insurgent contre la hausse des prix, évoquent les cinquante mille morts en Turquie, la sécheresse dans plus de vingt départements, le dernier rapport très alarmant du GIEC, ces milliers d’enfants ukrainiens volés par les Russes, ces autres enfin, tous demandeurs d’asile, qui s’endorment un peu partout dans le monde, l’inquiétude galopante de la communauté des scientifiques à leur sujet… » En effet, un étrange phénomène touche les enfants et se répand dans le monde.

C’est un roman très original, avec une structure parfaite, pour évoquer ce douloureux problème de l’emprise d’une personne sur une autre et de la difficulté à en sortir.