ÉTUDES, Agnès Mannooretonil, novembre 2021


« Toutes les métaphores textiles de l’écriture ne suffiraient pas pour décrire à quoi Marie Richeux s’emploie dans Sages Femmes. Le tissage, le ravaudage, le tricot et la broderie, tous ces arts de l’entrelacement et du nœud disent bien la façon dont elle noue des récits de vie et des découvertes d’archives, des rêves et des lectures, le souvenir des morts et l’attente des naissances. Mais fils et tissus, dans ce roman, ne sont pas seulement des images. Ils ont été pendant des siècles l’activité quotidienne des femmes, une de ces activités dites “essentielles” à laquelle Marie Richeux rend ici hommage. La quête généalogique de la narratrice, Marie, donne une forme souple et pleine de plis à cet éloge, non pas du “grand œuvre” des femmes, mais de leurs fragiles “ouvrages”, courtepointes brodées, linceuls et chaussons, toute une matière périssable qui passe avec les corps et qui ne laisse pas de traces matérielles. C’est donc ailleurs que subsiste la sagesse peu à peu acquise dans les travaux d’aiguille, le soin des corps et les larmes ravalées : dans les rêves, où Marie trouve un guide sûr pour avancer dans sa quête de soi, dans la méditation du prénom reçu à la naissance (des pages magnifiques et inattendues sur une autre Marie qu’on ne présente plus), ou encore dans les gestes transmis et répétés du maternage et de l’habillage. Pour mieux dire la grande réussite de ce livre, il faut souligner combien sont précieux aujourd’hui les romans sur “les femmes” ou sur “le fait d’être une femme” qui ne soient pas des manifestes. Marie Richeux nous dit simplement comment elle a reconnu dans la sagesse historique des femmes à la couture une ressource discrète, à laquelle lui a donné accès une confrontation intime avec l’impossible. À chacun de mettre cette vérité à l’épreuve de sa propre vie. »