FRANCE 5, François Busnel, jeudi 12 février 2015


« La Grande Librairie »

« François Busnel : Voici le récit d’une histoire d’amour impossible entre deux femmes. Nous sommes en 1908, dans un village bourgeois de province. La jeune Victoire est mariée depuis cinq ans avec un notaire un peu ennuyeux, qui régulièrement se rend dans la chambre de bonne où dort Céleste, 17 ans, la domestique ; il la viole et elle tombe enceinte, mais les choses ne vont absolument pas se dérouler comme prévu. Qu’est-ce qui vous a inspiré cette histoire qui s’intitule Amours, un très beau roman qui débute un petit peu comme Madame Bovary transposé dans le centre de la France, mais du côté des amours homosexuelles ?
Léonor de Récondo : Ce qui m’intéressait, c’était réfléchir et puis écrire sur le corps de la femme ; c’est pour ça que j’ai choisi cette période de 1908, juste avant la Première Guerre Mondiale, qui me semble vraiment le début du XXe siècle, et en tout cas un tournant pour l’émancipation de la femme. On est là dans une belle maison bourgeoise, où chacun est à sa place, sauf qu’il y a quand même une sorte de vacuité terrible. […]
FB : Peut-être que ce qui est moins banal, c’est la façon dont Victoire va découvrir le corps engrossé de Céleste. Il va se nouer une passion qui est corporelle ou bien une passion de l’âme ? C’est sensuel et sexuel, ou c’est une attirance pour autre chose, la différence de conditions ?
LR : Je crois que c’est un peu tout cela, et c’est aussi la découverte de soi-même. Ces deux femmes ont des corps niés, chacune pour des raisons un peu différentes, et quand cet enfant d’Anselme, qu’a porté Céleste, va naître et être adopté par le couple bourgeois, et que Victoire va découvrir le corps de Céleste avec cet enfant sur sa peau, ce sera une immense découverte : la découverte de la beauté du corps, alors que Victoire elle-même était dans une sorte de haine vis-à-vis de soi. Elle va découvrir la beauté du corps de la femme, et cette révélation va aussi lui permettre de se découvrir elle-même ; elle va se voir. […]
FB : Pour quelle raison écrivez-vous ? C’est votre quatrième roman, très ample, très maîtrisé, qui semble a priori classique et qui, en réalité, est beaucoup plus subversif qu’on ne le croit. Qu’est-ce qui vous pousse, vous qui avez choisi la musique, qui êtes violoniste, qui aimez le baroque, à écrire des romans ?
LR : J’y trouve une liberté que je n’ai peut-être pas en tant qu’interprète. Je suis violoniste et j’aurais pu, si j’avais voulu une autre liberté, devenir compositrice, ce qui n’a pas été le cas ; ce ne sont pas des notes qui me viennent dans la tête, ce sont des mots. Dans l’interprétation il y a quelque chose d’extraordinaire, parce qu’on y met beaucoup de soi, mais on est quand même contraint par une partition, comme pourrait l’être un comédien avec un texte ; dans la littérature je trouve une liberté totale. »

À regarder, aussi : le portrait de Léonor de Récondo dans La Grande Librairie.