FRANCE CULTURE, « Le Book Club », Marie Richeux, chronique d’Isaure Hiace, jeudi 14 septembre 2023


Écouter la chronique d’Isaure Hiace

Comme chaque jeudi, nous quittons la France pour prendre des nouvelles de la littérature à l’étranger et nous retrouvons aujourd’hui, Isaure Hiace, notre correspondante à Vienne, pour nous parler d’un grand auteur autrichien : Robert Seethaler.

Robert Seethaler est un écrivain que les auditeurs connaissent peut-être puisque quatre de ses romans ont déjà été traduits en français, tous parus aux éditions Sabine Wespieser. Et nous pouvons, grâce à cette même maison d’édition, découvrir en cette rentrée littéraire le dernier roman de l’auteur autrichien, qui s’intitule Le café sans nom, magnifiquement traduit par Élisabeth Landes et Herbert Wolf. Le livre qui a paru en allemand au printemps dernier a rencontré un grand succès en Autriche et en Allemagne, les deux pays dans lesquels vit aujourd’hui Robert Seethaler.

Retour aux origines
Dans ce livre l’auteur revient sur ses origines viennoises, puisque l’intrigue débute en 1966, l’année de naissance de Robert Seethaler et se déroule à Vienne, la ville qui l’a vu naître. Nous suivons un personnage terriblement attachant, Robert Simon, un homme au physique sec, au visage tanné et aux yeux d’un bleu profond. Journalier au marché des Carmélites, un quartier pauvre du deuxième arrondissement viennois, Robert Simon décide un jour de reprendre le café de la place, laissé à l’abandon. Pourquoi le fait-il ? Peut-être parce qu’il « faut que l’espoir l’emporte un peu sur le souci », comme lui dit un soir la veuve de guerre avec laquelle il partage un appartement.

Un café refuge rattrapé par la modernité
Ce café, qui restera sans nom, va bientôt accueillir une foule d’habitués, des marginaux, des travailleurs sans le sou, des femmes et des hommes éprouvés par la vie, qui cherchent à tromper leur ennui ou leur solitude. Au fil des ans, le café devient un refuge qui accueille cette touchante petite société, un lieu qui distrait, qui apaise, et peut-être aussi qui répare. Mais la grande société, elle, change. Vienne, qui est un personnage à part entière du livre, se transforme, bascule dans la modernité, qui aura finalement raison du café. « Le monde tourne toujours plus vite », écrit Robert Seethaler  « et parmi ceux dont la vie ne pèse pas assez lourd, il y en a qui sont laissés sur le bord de la route. »

Une écriture délicate et mélancolique
En quelques mots, en saisissant un détail, une sensation, un moment, l’auteur autrichien nous plonge dans l’intériorité de ses personnages avec empathie et sensibilité. On croise ainsi, au fil des pages, un jeune couple qui lutte pour se remettre de la mort de leur enfant, une vieille dame qui passe ses nuits « allongée à épier ses souvenirs » ou encore un bricoleur un brin voyou, qui meurt sans que personne ou presque ne se souvienne de lui. Le café sans nom devient, sous la plume de Seethaler, le lieu où se retrouvent des anonymes aux vies cabossées et dans cette réunion même les personnages retrouvent un peu de chaleur, et quelque chose qui ressemble à de l’espoir, à l’instar du patron, Robert Simon qui se surprend à « chasser (s)es vieux fantômes et (ouvrir) la porte à quelque chose de neuf. »

C’est en effet ce qui a fait le succès de Robert Seethaler : cette écriture tendre, mélancolique, qui met en valeur ceux qu’on appelle « les petites gens », ces gens qui, comme l’écrit l’auteur, « ont des choses à dire mais ne parlent pas ». C’est le fil rouge de toute son œuvre et ce qui lui confère une place à part dans la littérature germanophone. Il rencontre en effet un grand succès critique et public en Autriche et en Allemagne, où il vend des centaines de milliers d’exemplaires de ses livres.

Une littérature autrichienne contemporaine riche et diverse
L’œuvre de Robert Seethaler est traduite dans quarante langues et rencontre un grand succès également à l’étranger. Mais la littérature autrichienne est évidemment loin de se résumer à cet auteur. Elle est d’une richesse et d’une diversité incroyable. C’est loin d’être un hasard si, ces vingt dernières années, l’Autriche a connu deux Prix Nobel de littérature avec Elfriede Jelinek et Peter Handke. Plusieurs autres grands auteurs autrichiens contemporains sont aujourd’hui traduits en français et publiés chez plusieurs maisons d’éditions, Verdier et Gallimard notamment. Alors un conseil : plongez-y, vous découvrirez une littérature exigeante et inventive.