FRANCE CULTURE, « La Salle des machines », Mathias Enard, dimanche 30 août 2020


Seconde partie

Mathias Enard s’entretient avec Diane Meur, romancière et traductrice qui signe Sous le ciel des hommes, chez Sabine Wespieser.Sous le ciel des hommes se déroule à Landvil, capitale du Grand-Duché d’Éponne, et partage avec le roman de Jean-Marie Blas de Roblès d’avoir pour décor un lieu inventé, mais pourtant bien réel avec son lac, sa fête de la dynastie et son confort bourgeois. On y parle français, on n’est pas très loin de la Slovénie et les panneaux annoncent Capitale du choux farci et centre géographique de l’Europe. C’est aux alentours de Noël que Jean-Marc Féron, journaliste et écrivain, accueille chez lui Husseyn, un réfugié. Tandis qu’il cherche surtout à faire un coup éditorial avec le récit de cette expérience – mais que, confronté à l’impossibilité d’écrire, il va se voir imposer une ghost writer, pour l’aider à dépasser son blocage – un collectif d’intellectuels militants rédigent pour leur part un pamphlet anti-capitaliste. Parmi eux, Jérôme vit une histoire d’amour adultère avec Sylvie, cadre dans la multinationale Summum… Un roman de personnages, où chacun de ces protagonistes se trouve, sans le savoir, à un tournant de sa vie…Mathias Enard : D’où est né le besoin de forger un Grand-Duché d’Éponne fictif plutôt que de situer le roman au Luxembourg ou au Liechtenstein par exemple ?

Diane Meur : J’avais besoin d’un lieu fictif pour avoir les coudées franches, pour faire exploser les schémas romanesques et faire bouger mes personnages, que je voulais traversés par des courants qui les dépassent. Dans Eponne, flotte cette atmosphère maisons de pain d’épices, boîtes à musique, un peu MittelEuropa, à la fois mièvre et charmante, mais inquiétante aussi. Je voulais écrire un roman sur l’utopie, l’anachronisme, la société du spectacle alors quoi de mieux qu’un décor de carton pâte pour parler de spectacle ? Ce micro Etat francophone, ce petit paradis fiscal, je l’ai conçu comme un leurre pour le lecteur, pour lui donner l’impression au début qu’on est seulement dans une veine satirique. C’est une façon de l’amadouer, d’endormir sa méfiance et puis au moment où il se réveille, il se rend compte qu’on est bien dans le monde d’aujourd’hui, dans tout ce qu’il a de plus cru.