FRANCE INTER « Le grand dimanche soir », chronique de Clara Dupont-Monod, dimanche 15 octobre


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Dans ce livre, on s’aperçoit que, de temps en temps, dans les romans, le personnage principal n’est pas forcément une personne, mais un lieu. Ici, c’est un café de Vienne qui tient la première place. Un endroit que fait vivre Robert Seethaler, remettant en scène sa ville natale.

Qu’est-ce qu’un bon dimanche sans un bon roman ? J’en ai un pour vous, il s’appelle Le Café sans nom, de Robert Seethaler. Je me suis aperçue que, parfois, le personnage principal d’un roman, c’est… un lieu. L’endroit où se déroule l’histoire a tellement d’importance que c’est lui, le centre du livre. Ça peut être une rue, un château, une chambre, un bord de mer…

Dans ce roman, c’est le café, qui tient la première place, un café à Vienne, dans les années 50
Au départ, ce café il est comme nous le dimanche matin : il n’a pas bonne mine, il est défraîchi. Et pour décrire le papier peint gondolé sur les murs, l’auteur, Robert Seethaler, écrit : « À certains endroits le papier peint se gondolait. On aurait dit que les murs avaient des visages. Ils ont besoin d’air, se dit Simon. » Vous voyez, le café est humanisé, ça parle de visage, de besoin d’air, et celui qui comprend ça immédiatement, c’est ce Simon, qui rachète le café. Il nettoie tout, il le repeint, il le retape, avec le soin d’une mère, comme si ce café était son enfant – et en effet, Simon n’a pas de famille, pas de fortune, juste une envie qui, un jour, a rencontré un lieu.

Parce que c’est ça, entre les lieux et les humains : une histoire de rencontre
On a besoin de repos et on tombe un jour sur un paysage, qui soudain apaise. On veut changer de vie, et soudain on croise la route d’une maison, et là, ça devient possible. En ancien français, « endroit » était un adverbe, qui signifiait « exactement ». Et bien c’est ça : un endroit exactement fait pour vous, qui vous donne une place. Quand le matin éclaire Vienne, et que Simon attend les premiers clients, il s’assied, il regarde, et il est à sa place.

Bientôt arrivent les clients, et Simon écoutera des vies, il verra passer des existences, il servira de l’alcool, beaucoup, et une seule journée vaudra toutes les études sur la société viennoise de l’après guerre. D’ailleurs, dans le roman, il y a des pages uniquement de phrases entendues dans le café. Par exemple, Simon entend : « J’ai toujours eu envie d’une maison au bord de l’eau »« À l’époque je ne l’écoutais pas, j’était assez bête pour être heureuse »« Ça ne veut rien dire, un Viennois sur deux est nazi. Où seraient-ils tous passés sinon ? »« Apportez moi un quart de rouge. Ça fait de jolis reflets au soleil ». Cette dernière phrase nous rappelle qu’il n’y a qu’une lettre de différence entre lieu et cieux !