LA CAUSE LITTÉRAIRE, Stéphane Bret, septembre 2022


Les romans qui décrivent des relations familiales marquées par la violence, la terreur, la haine, sont passablement nombreux dans la littérature aussi bien classique que contemporaine. Ceux qui rappellent l’importance de l’attachement à ses racines, à sa terre sont loin d’être rares. Celui de Sarah Jollien-Fardel est à la confluence de ces deux genres. Jeanne est la narratrice, elle relate dès le départ la violence endémique de son père, un homme rustre, sans éducation, pervers et marqué par un sadisme dévastateur. Sa sœur partage avec elle ces moments fréquents de peur, d’appréhension durant lesquels elle se demande quel geste il va commettre, tellement il est imbibé par l’alcool : « Moi, je voulais entendre. Déceler un bruit qui indiquerait que cette fois, c’était plus grave. Écouter les mots, chaque mot : sale pute, traînée, je t’ai sorti de la merde, t’as vu comme t’es moche, pauvre conne, je vais te tuer. Derrière les mots, la haine, la misère, la honte ».

Et ce dernier sentiment, la honte, habite la narratrice qui est accablée cette fois par l’attitude du médecin de la famille, le docteur Fauchère. Celui-ci a bien deviné ce qui se passe dans ce foyer, mais il garde un silence complice, il est lâche aux yeux de la narratrice, alors qu’il vient de constater qu’elle a été durement frappée par son père. Quelle est alors la porte de sortie à cet enfer ? D’abord la fréquentation de l’École Normale d’instituteurs de Sion, période durant laquelle Jeanne connaît un peu de répit.

Son parcours présente des embûches et événements gravissimes : le suicide de sa sœur, qui lui rappelle combien cette violence familiale des origines habite encore sa psyché, sa conscience. Jeanne trouve des remèdes, des parades dans la nage dans le Lac Léman, activité bienfaitrice et génératrice de sérénité. Elle rencontre à Lausanne une amie, Charlotte, mais les équations personnelles de ces deux femmes sont divergentes : trop de sophistication, de snobisme pour Charlotte, qui ne voit que l’exotisme régional dans la personne de Jeanne.

Comment surmonter ce terrible passé ? Jeanne entretient une relation homosexuelle avec Marine, plus sincère, plus à l’écoute, une personne plus authentique. Elle consulte un psy, Paul, noue des relations avec Delphine, une amie journaliste qui lui permet de naviguer sur un bateau. Toutes ces étapes, ces rencontres, ces avancées vont conduire Jeanne à regarder en face ce passé pour enfin le surmonter : « Je repense à mes débuts avec Marine. C’était une évidence. Je révérais son humanité, sa capacité à aimer sans conditions. J’aimais qu’elle pommade mes blessures de ses mots et de ses baisers. Avec Paul, c’était une puissance dorée sans animalité. Était-ce seulement fraternel ? ».

La violence familiale est, souvent, un handicap grave pour le déroulement harmonieux d’une vie, pour l’atteinte d’un bonheur personnel. Des rencontres, des relations amoureuses ou amicales, la fidélité à ses origines, à sa région natale, peuvent constituer les voies d’une possible contre-offensive au malheur et à la fatalité, c’est ce qu’illustre ce roman, durement et éloquemment.

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