L’EXPRESS, Marianne Payot, jeudi 1er septembre 2022


Les premières perles de la rentrée littéraire
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Le mal fait homme
C’est un livre coup de poing, un livre choc, au propos tristement banal, l’impossible reconstruction après une enfance brisée par la violence d’un père. Par la grâce de son style, par l’intelligence de sa démarche, Sa préférée détone. On peine à croire que l’on tient là un premier roman tant son auteure suisse, Sarah Jollien-Fardel, 50 ans, fait preuve de maîtrise et de sang-froid dans le déroulé, implacable, des faits et l’analyse des comportements humains. Humain, le père de Jeanne, la narratrice, ne l’est pas (plus ?) tout à fait. Sa fille ne l’a jamais connu que tyrannique et destructeur. Dans leur maison d’un petit village des montagnes valaisiennes, les injures et les coups pleuvent. Sans raison aucune. Les deux principales victimes du père, chauffeur routier de son état et ivrogne par nature ? La mère, Claire, soumise et qui s’évade tant que possible dans ses rêveries, et Emma, la soeur aînée, un rien écervelée, qui se suicidera à 25 ans. Jeanne, elle, s’en sort, par fierté : « Il ne me frappait jamais autrement qu’en me tirant les cheveux« . Une fois, pourtant, il la rosse et manque de l’étrangler – appelé, le médecin de famille ferme les yeux, par lâcheté.

Lâcheté, honte, culpabilité, rage, égocentrisme, ces mots ne cessent de hanter Jeanne, enfuie à Lausanne pour étudier et échapper à sa famille. Malgré ses amours, avec Charlotte puis Marine (les hommes n’étant que des « amène-douleur »), ses années de thérapie et ses longues brassées dans le lac Léman, la jeune femme reste engluée dans son enfance et vit dans l’intranquillité permanente. Jusqu’à l’arrivée de Paul, rassurant, doux… Une lueur d’espoir au terme d’un roman aussi rude qu’exaltant.