LA SEMAINE, Béatrice Arvet, jeudi 11 décembre 2014


« Le Guide littérature »

« Robert Seethaler plonge un ado de dix-sept ans dans la marmite grouillante d’une Vienne en pleine conversion au national socialisme. Une initiation accélérée qui porte un regard décalé, drôle et tendre sur une page noire de l’Histoire autrichienne. […]

Si le procédé n’est pas nouveau, le ton enjoué, un peu ironique envers l’ingénuité nonchalante de Franz, renforce l’affrontement entre cet esprit vierge et les forces à l’œuvre dans une Autriche contaminée par le nazisme. Robert Seethaler observe, amusé, son héros découvrir les codes d’un monde inconnu. […]

Robert Seethaler se sert du tabac comme lieu névralgique du changement des mentalités et du déchaînement verbal et physique qui a précédé l’annexion de l’Autriche. Progressivement, les tenues vestimentaires changent, les menaces antisémites apparaissent ainsi que les saccages visant ceux qui n’obéissent pas aux injonctions d’autorités surgies d’on ne sait où. En refusant d’exclure une partie de sa clientèle, Otto Tresniek fera rapidement les frais de cette vindicte. Avec une candeur bien vulnérable, Franz tentera de le sauver à sa façon, romantique et vaine. Écartelé entre la perte de son mentor, son désespoir amoureux, le départ annoncé du professeur et une conjoncture d’une violence extrême, il se dépouillera petit à petit de son innocence, rêvant parfois d’appartenir au registre des ignorants. Les lettres de plus en plus raffinées qu’il envoie à sa mère témoignent de cette évolution avec beaucoup de délicatesse. Probablement, cet art d’écrire en images, en sons et en odeurs si joliment cultivé par Robert Seethaler a-t-il à voir avec le grave défaut de vision qu’il a subi à la naissance. En tout cas, Le Tabac Tresniek est un bon compagnon pour les week-ends hivernaux et pourrait même rallier quelques ados récalcitrants à la lecture. »