LE CARNET ET LES INSTANTS (revue des Lettres belges francophones), Joseph Duhamel, lundi 24 août 2015


« La carte et la trace : un coup de cœur du Carnet »

« À chaque livre, Diane Meur surprend. C’est assurément le cas avec ce cinquième roman, dans lequel elle renouvelle profondément sa manière de faire. Comme pour les autres, il s’agit d’une histoire de filiation, de destins qui s’étendent par-delà les générations. […]

Plus qu’une histoire de la famille, le propos du livre est l’interrogation que l’auteure mène sur le processus de création de son roman, étroitement imbriqué à l’histoire même des Mendelssohn. On va suivre ainsi l’évocation du destin de chacun des descendants, en même temps que les étapes de la recherche de Diane Meur, ses lectures, ses rencontres, ses visites de lieux. À tel point que les temporalités de l’Histoire et de la vie de l’auteure ont parfois tendance à se confondre. […] Les nombreux fils tissés entre les deux composantes du roman, qui correspondent (pour dire rapidement) au savoir érudit et au savoir expérimenté, vécu, rendent ces deux temporalités et ces deux strates du récit indissolubles. Et l’effet de miroir est saisissant. […]

Une belle illustration de cette imbrication est l’image de la carte. Contrairement à ses livres antérieurs où dans ses fictions Diane Meur investissait un ou des lieux (l’archétype étant la maison de Les Vivants et les Ombres), il n’y a pas ici de lieu spécifique (le lien avec Berlin, qui avait motivé l’auteure, ne justifiant pas l’ensemble de la démarche). Elle entreprend alors la construction d’une carte généalogique complexe, prenant tous les aspects d’une carte géographique, planisphère où c’est le temps qui s’étale. […]

Dans sa structure, le roman répète cette situation qu’il décrit, proposant dans le dernier chapitre une belle réflexion sur la notion de conclusion, qui répond à la subtile interrogation du premier chapitre sur la notion de commencement.

Car où commence une histoire, si ce n’est quelque part dans le monde ? L’histoire d’une famille ne m’intéresse que si elle devient l’histoire du monde, et c’est de plus en plus le cas. Et c’est à la fois cette attention aux vies réelles de personnages tout aussi réels et le récit de la justesse de la quête personnelle de Diane Meur qui donnent sa densité au livre. […]

Et dans ce roman se faisant, Diane Meur implique largement le lecteur, s’adressant à lui, attendant de lui une certaine attention. Ce qui confère au texte un caractère joyeux et drôle. Qui voisine sans rupture de ton avec des moments émouvants, comme le récit de la visite à une très vieille dame, descendante de Moses.

Un livre qui surprend intelligemment le lecteur par l’intrication subtile de niveaux et qui réussit l’équilibre délicat entre le sérieux, l’émotion et l’humour. »