TV5 MONDE, Estelle Martin avec Diane Meur et Mathias Énard, de 0’45 » à 14’40 », jeudi 27 août 2015


« 64′ Le monde en français 2e partie – Grand angle : Littérature, c’est la rentrée »

« Estelle Martin : « Qu’est-ce qui vous a séduit dans cette famille des Mendelssohn ?
Diane Meur : Au départ, c’étaient ces trois personnages-là [Moses, Felix et Fanny] qui m’intéressaient. Je pensais me lancer dans un roman de la filiation, assez classique par rapport à mes thèmes. Et en fait je me suis aperçue qu’il y avait une documentation pléthorique sur tous les descendants de Moses […] – ça finit par couvrir une partie de l’Europe, une partie du monde. Et voilà, nous sommes aussi dans la traversée des frontières et des siècles. Ce qui me fascinait, c’était justement cette espèce de voyage en toutes directions, l’impression d’être une centrifugeuse qui se disperse passionnément en tous sens…
E. M. : Et ce qui est vraiment très réussi, c’est que vous nous racontez cette enquête. En plus, vous décidez de faire une vraie carte […] chez vous, sur votre table […]. À quoi sert-elle, cette carte ?
D. M. : Au départ, c’était un document de travail. J’en avais besoin, j’avais besoin de visualiser la famille – c’est sept-huit générations… et près de trois siècles –, j’avais besoin de me fabriquer un espace, un espace unique pour me projeter dans cette famille. Et donc c’est devenu ensuite pour moi comme une carte du monde, dans laquelle j’ai fait comme une navigation à l’ancienne, en contournant les côtes, en faisant le tour des continents. Pour moi, ça a pris réalité.
E. M. : Vous êtes aussi traductrice. Est-ce que c’est important pour votre style, est-ce que ça a un impact ?
D. M. : Oui, parce que je pense que le travail sur le mot juste, la recherche du sens exact d’un auteur que je traduis, entrent en résonance avec le travail que je fais moi-même sur mon propre texte, où j’essaie chaque fois de retravailler, d’aller plus près de l’idée que j’ai eue – je me dis, non, ce n’est pas encore exactement ce que je voulais faire passer –, une façon d’être au plus près de la matérialité des mots. Il y a quelque chose de presque plastique – je commence à gesticuler chaque fois que je parle de ça, mais j’ai vraiment l’impression de faire un travail de sculpteur : il faut enlever un peu de matière là, la remettre plutôt là, ce sera mieux, ce sera plus clair, plus fluide – et ça, je le fais autant en traduction que dans mon écriture propre. […]
E. M. : Quel est votre préféré dans les Mendelsson ? Abraham, celui qui fait le lien ?
D. M. : Non, pas vraiment, il m’intriguait au départ, parce que, justement, on ne savait – enfin, je ne savais – pas grand-chose de lui. C’est quand même le fils d’un philosophe des Lumières [Moses] extrêment connu en Allemagne, le père de deux génies musicaux, et je ne connaissais même pas son prénom au départ. Donc il m’intiguait, je voulais essayer de comprendre cette énigme, mais je ne peux pas dire que c’est celui qui me parle le plus. Un que j’adore, c’est le tout premier vraiment, le patriarche, Moses Mendelssohn. C’est vraiment une figure extraordinairement attachante : c’est une intelligence brillante, mais c’est aussi un homme très doux, très bienveillant, avec une vitalité intellectuelle énorme. D’un autre côté, il était en mauvaise santé, bossu, tout petit… Enfin, c’est vraiment un personnage. Et puis c’est un autodidacte, qui est sorti de nulle part et qui a tout acquis lui-même, toutes ses connaissances – il n’a jamais mis les pieds à l’université. Donc c’est vraiment, oui, un phénomène…
E. M. : … et qui a engendré cette très grande famille que l’on découvre grâce à vous dans La Carte des Mendelssohn. […] Voilà, c’étaient nos deux coups de cœur, à nous, dans 64′. »