LE FIGARO MAGAZINE, Élisabeth Barillé, samedi 8 octobre 2016


« Le Mal en face »

« L’audace n’est pas une denrée qui s’épuise forcément avec l’âge. Prenez Edna O’Brien. Il y a quatre ans, l’indomptable romancière nous entraînait dans un tourbillon d’aveux et de souvenirs riches en sensations fortes. L’ennui avec les mémoires, c’est leur côté testamentaire. Fille de la campagne jetait sa flamboyance crépusculaire sur les lecteurs, ex-fans des sixties. Un adieu aux armes, pensaient-ils. À tort. À 85 ans, Miss O’Brien est encore loin de la retraite, pour preuve, cette fascinante histoire d’une femme douce amoureuse d’un monstre. Un conte moderne qui s’ouvre dans l’enclos rassurant d’un pub de province, se déploie de sous-bois en hôtels pour rencontres discrètes, jusqu’au Londres misérable des laissés-pour-compte pour s’achever, trois cents pages plus loin, à La Haye, au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, dans les lieux mêmes où Radovan Karadzic dut répondre des barbaries qu’il déchaîna en Bosnie. L’ancien psychiatre, surnommé le « boucher des Balkans », prête-t-il son insondable caractère à l’inquiétant Dr Vlad, le gourou guérisseur dont s’éprend la confiante Fidelma ? En partie seulement. Edna O’Brien est trop artiste pour tomber dans le piège de l’actualité. Subjuguée, trahie, puis mise au ban de sa communauté, Fidelma garde l’angélique puissance des êtres capables de voir le mal en face. Il est vrai que dans ces pages, tantôt lyriques, tantôt brutales, le mal n’est pas une fatalité, c’est un territoire. »