LE MAINE LIBRE, Frédérique Bréhaut, vendredi 18 décembre 2020


Les recluses du Bon Pasteur
De petites choses, L’Irlandaise Claire Keegan fait un grand roman.

« Voici un libre aussi merveilleux que bref. À la façon d’un conte de Noël actuel, Claire Keegan aborde la triste histoire des blanchisseries de Magdalen, ces couvents irlandais où jusqu’en 1996, on enfermait les filles mères et disposait de leurs enfants.

À l’approche du Noël 1985, Bill Furlong est un homme sérieux. Petit entrepreneur de bois et de charbon, ce père de cinq filles belles comme des sorcières n’a jamais prêté attention au couvent du Bon Pasteur, un de ses clients parmi d’autres. Alors qu’il effectue sa livraison chez les sœurs, il découvre une adolescente enfermée dans le hangar. Tourmenté par cette rencontre, Furlong songe à sa propre destinée de fils naturel d’une domestique. Sans la bienveillance de Mrs Wilson, la riche veuve protestante qui les a protégés, sa mère aurait pu rejoindre la triste cohorte des cloîtrées du Bon Pasteur.

La chappe du silence

De son écriture précise, Claire Keegan cerne le malaise du charbonnier, seul homme ou presque de cette histoire. Face à une petit ville volontairement aveugle au sort des réprouvées traitées comme des esclaves. Frulong se sent prêt à briser l’indifférence générale, quitte à affronter sa femme. Ce qui se joue derrière les murs du couvent ne les concerne pas tant à New Ross et alentours, on redoute le pouvoir des sœurs.

L’atmosphère grise et froide traversée des premiers flocons de neige accompagne la détresse d’un homme confronté au silence ; celui d’une communauté insensible au sort des recluses et de leurs enfant; et celui plus intime de sa mère « fille séduite ».

L’hiver, le charbon, les usines fermées, le sort terrible des filles du Bon Pasteur, tout cela pourrait tracer les lignes d’un roman lugubre. Or le talent de Claire Keegan transforme la noirceur ambiante en un récit d’une douceur lumineuse, étincelle d’espoir attisée par la révolte d’un homme ordinaire. Preuve que l’on peut manier les nobles sentiments sans mièvrerie, Ce genre de petites choses est porté porté par la grâce. »