L’HUMANITÉ, Muriel Steinmetz, jeudi 24 septembre 2020


Une critique de la déraison capitaliste

Diane Meur met en jeu un collectif de jeunes gens décidés à composer au sein de milles contradictions personnelles, un pamphlet accusateur sur l’état du monde.

« « Il allait s’agir de rendre, dans le bouquin, cette atmosphère de simplicité et de partage. » Tel est le mot d’ordre que se donne le journaliste Jean-Marc Féron, prêt à accueillir chez lui un migrant, ni « vieillard malade » ni « victime exemplaire de la dictature« . Le but ? Écrire, sur cette cohabitation, un livre qui se vende. Jean-Marc complote avec son éditeur en quête du « matériau idéal », tandis qu’ailleurs, toujours dans le Grand-Duché d’Éponne, au cœur de l’Europe, là où les financiers décident en toute discrétion de la marche du monde, un petit groupe de jeunes gens s’est réuni pour une séance d’écriture. Ils font partie du « prolétariat intellectuel de l’état prospère« . Ils veulent composer un pamphlet : « Remonter le courant, critique de la déraison capitaliste. » Il y a Cédric, vendeur dans une librairie, Stan le chanteur, Sonia, rewritteuse et « nègre » à ses heures, Isabelle, actrice au chômage, et Jérôme, thésard, qui s’éclipse pour rejoindre sa maîtresse, Sylvie, femme mariée, jeune quadra ambitieuse, « développeuse de projets dans le secteur de la mode » et agente zélée du système. Semira, son employée de maison, exilée de longue date, côtoie Ghoûn, jeune demandeur d’asile, déjà cinq mois dans les rues du Duché, à vivre des « journées informes« … Le climat glacial est tel qu’on en perçoit jamais rien de sûr.
Diane Meur déboutonne ce « ciel des hommes » et, décapsulant les têtes, met à jour soumission, douleurs et doutes. Sylvie vacille et Jean-Marc constate son propre manque d’épaisseur humaine. Au fond, c’est Diane Meur qui rédige le libellé de ces rebelles impuissants : charge magistrale sur le consumérisme, le productivisme, l’usage de la technique dans un système marchand dont « le but avoué est d’évacuer le travail humain, réduit à un pur coût ». Elle démonte les rouages de la domination, démystifie la « dématérialisation » du numérique qui dissimule, sous les carottes bio achetées sur le Net, livrées at home, « le gars mal payé qui pédale à fond de train » pour livrer l’autre gars « vissé devant son ordinateur » à guetter « les baisses de cadence« , les serveurs mis en branle, bouffeurs d’électricité colossale, les métaux rares contenus dans les appareils, « les guerres à la machette » dans « les pays producteurs« … Bref, la chaîne des stratégies cachées derrière des « métaphores éthérées » comme la « Toile » et le « cloud » (nuage). »