LIRE, Christine Ferniot, 1er avril 2013


« Les incontournables : La paysanne révoltée »

« L’Irlandaise, dont le livre Les Filles de la campagne suscita un scandale dans son pays, publie ses mémoires. Un récit poignant sur son enfance, les sixties et les écrivains qu’elle aime. […]
Installée dans sa bibliothèque-bureau recouverte de livres, Edna feuillette sa vie sans nostalgie. Elle vient de publier ses mémoires – préférant ce mot à celui d’autobiographie – et les photos changent selon les couvertures choisies par les éditeurs : égérie sixties chez les Anglo-Saxons, jeune femme rêveuse au sourire grave en France, chez Sabine Wespieser. Ce livre poignant et sincère est la source de toutes ses fictions, des trois volumes des Filles de la campagne au Crépuscule irlandais. Dans cet ouvrage qui se lit comme le destin romanesque d’une femme libre, Edna brosse d’abord le portrait d’un pays qui l’a rejetée comme un monstre, interdisant ses livres. […]
Les mémoires d’Edna O’Brien se composent en fait de trois époques, presque trois histoires. Après les années d’enfance, de formation et de souffrance, vient le temps de la liberté dans le Swinging London. Edna est reconnue, rédige des scénarios, fréquente les soirées folles des années sex, drug and rock’n’roll. […]
Les beaux gosses du cinéma ne sont pas ses seuls compagnons : Edna aime les écrivains, leurs œuvres et cite James Joyce avec déférence. Pour écrire, dit-elle, il lui faut relire les plus grands, comme s’ils indiquaient le chemin à suivre. Alors Dostoïevski et Gogol ne sont jamais loin, Virginia Woolf, Joseph Brodsky, Sylvia Plath ou Alice Munro restent à portée de main.
C’est ce qu’elle explique dans le troisième volet de son livre. Des vivants et des morts, des amis et des proches, tous présents dans cette pièce un peu foutraque où elle continue d’exprimer sa passion pour la littérature. Aujourd’hui, Edna O’Brien travaille sur un roman, anxieuse comme toujours de ne pas trouver le mot juste. Le temps n’a rien changé à cette angoisse de la page blanche. Mais ce soir, lorsque ses hôtes auront quitté la petite maison londonienne, elle allumera toutes les lumières du salon et retrouvera ses fantômes. Ceux qui peuplent encore la maison natale de Drewsboro où elle se rendit récemment pour revoir la silhouette de sa mère, le lierre qui s’insinue autour des fenêtres, les chevaux hennissant dans l’écurie et la peur qu’ils lui inspiraient la nuit. Elle se penchera sur sa table, prendra son stylo pour retrouver le chuchotis, dit-elle. »