LIRE MAGAZINE LITTÉRAIRE, Daniel Picouly, septembre 2021


« L’époque a le blues à l’âme et un souffle au cœur depuis la mort, le 25 mai 2020, d’un Noir, George Floyd, sous le genou d’un policier blanc, Derek Chauvin, à Minneapolis. C’est de cette histoire dont s’empare Louis-Philippe Dalembert, un géant haïtien, de corps et de plume, qui a élu Paris pour vivre. Cette histoire, chacun la connaît, ou croit la connaître tant une image et une plainte “I can’t breathe” – peuvent donner l’illusion d’avoir approché au plus près de la réalité. L’écrire serait devenu inutile, comme si la sidération nous bouffait l’oxygène des mots sous la ventouse. Dalembert ne croit pas à ce genre de métaphore. Il a foi, une vraie foi, en la force singulière et paradoxale du roman : sa capacité à faire un pas de côté, pour dire le vrai. Ce pas de côté, il le fait en utilisant, d’une manière humble et subtile, une forme qui m’a soufflé à l’oreille la chanson de Bob Dylan chantée par Graeme Allwright : Qui a tué Davey Moore ? L’histoire de ce boxeur noir américain, mort en mars 1963 à la suite de son combat contre Sugar Ramos. La chanson n’est pas dans les très riches références musicales listées en annexe. Et pourtant elle rythme en sous-main le roman, de façon envoûtante : “Qui a tué Davey Moore, qui est responsable et pourquoi est-il mort ?” À cette question, les protagonistes du drame – l’arbitre, la foule, son manager, le journaliste, l’adversaire – répondent : “C’est pas moi !”
Dans Milwaukee Blues, les protagonistes se font témoins sans prétoire : l’institutrice, l’amie d’enfance, le pote dealer, le coach, la fiancée. On passe du nine-one-one déclencheur à Dieu enrôlé en simple point de vue. Chaque témoignage taille et éclaire une facette du héros et victime : Emmett, marqué comme un hommage et une fatalité au fer du prénom d’un adolescent assassiné par des racistes, il y a soixante-cinq ans. Emmett est l’archétype du jeune Noir des quartiers, dont le rêve américain aime à exalter le corps pour mieux le supplicier.
Pour s’approcher d’un drame si emblématique du temps, déjà patrimoine et conscience, et lesté d’emblée d’une présomption d’opportunisme, sans se brûler la plume, il en faut du courage, des convictions et un infini talent. Dalembert est pétri de cette Sainte Trinité. Ô, comme j’aimerais que cette rentrée littéraire lui lève son chapeau ! »