LIVRES HEBDO, Kerenn Elkaïm, vendredi 17 juin 2016


« Musique apocalyptique »

« La Canadienne Catherine Mavrikakis se glisse dans un monde crépusculaire, dont la noirceur tranche avec la finesse de sa plume poétique.

« La Terre était abandonnée du ciel. Une longue agonie ne lui serait pas épargnée. Elle était condamnée à sa propre éclipse. » Dès les premières pages, Catherine Mavrikakis annonce la couleur. Celle d’un avenir ténébreux, où les gueux sont abandonnés à leur triste sort. Montréal est le décor de leur enfer. « Leur destin était de disparaître. La mort était destinée aux sous-hommes. » À savoir les déçus et les déchus du capitalisme.

Alors qu’ils croupissent dans la misère une « maladie noire » s’abat sur la ville. Ce mouroir nous tend un miroir dantesque, dans lequel l’espoir et la littérature n’ont plus de place, le « Gouvernement mondial » ayant décrété que les livres papier sont interdits. La philosophie devient une denrée rare, mais il y a des îlots de résistance. Voici un libraire courageux ou Cate, une femme médecin capable de braver la rivalité de bandes violentes. Surgit alors un personnage incongru et inattendu, Oscar de Profundis. Cet enfant du pays a fui Montréal, à la suite d’un drame familial. Devenu une rock star mondiale, il incarne « la figure moderne de l’Antéchrist ». Un titre grandiloquent pour un homme déchiré, fidèle aux paradis artificiels, à Baudelaire et aux artistes passés, qu’il réenterre dans un cimetière personnalisé.

À l’heure où la révolte gronde, Catherine Mavrikakis explore l’inexorable chute, qui faisait déjà le sel du Ciel de Bay City. Fabuleuse, cette fable-ci nous plonge dans un tunnel, peuplé de rebelles. Ils s’accrochent à la beauté des mots, mais celle-ci suffira-t-elle à susciter un sursaut ultime d’humanité ? »