LIVRES HEBDO, Kerenn Elkaïm, vendredi 17 novembre 2017


« Dompter les chutes »

« Un homme sait qu’il va mourir. Alors il décide d’écrire une dernière lettre à sa femme. « Laisse couler tes larmes, mais ne plie jamais le genou. Jamais. » Le juge Berthier a essayé « d’éloigner les incendies du monde », voilà pourquoi on l’a assassiné. Il laisse derrière lui une veuve éplorée et leur enfant adorée, Brune. Contrairement à ses parents, cette jeune chanteuse « ne mesure pas la température du monde, mais elle veut elle aussi un destin. » Comment imaginer qu’il ne soit pas orienté par son lieu d’origine ? Haïti n’est pas un pays anodin, il inspire Yanick Lahens car elle ne semble jamais avoir fait le tour de ses contradictions. Certains le qualifient de « maudit, misérable, sauvage ou fini », elle préfère se laisser porter par son concentré de vie. À l’image de Brune, « une fille des commotions, de la colère et du sang, des vertiges, de l’âpre beauté de cette ville ». Port-au-Prince, dans laquelle l’ambiance est rythmée par la cadence de la violence ou les pulsions de l’existence. « Ici, vivre, c’est dompter les chutes. » Même les jeunes sont obligés de se réinventer sans cesse. Certains retournent leur veste, d’autres demeurent fidèles à eux-mêmes, tel Ézéchiel le poète, ou Francis le journaliste français. Encore marqué par les attentats contre Charlie Hebdo, il se heurte à d’autres animosités ici. Comme s’il n’existait pas le moindre abri, si ce n’est dans l’amitié, l’amour ou l’envie de vivre. Yanick Lahens manie « des mots lacérés au couteau. Des mots malheurs. Des mots douceur précipitée. Des mots rêves et lumière. » »